GUJAN-MESTRAS 33. La cale de mise à l'eau des super-yachts des chantiers Couach est financée sur fonds publics. 9,2 M? qui font tousser dans le Bassin. La direction évoque la création de 150 emplois
Le groupe Couach SA se porte bien, merci pour lui. Le roi de la « Yacht Couture » française, basé à Gujan-Mestras, annonce un carnet de commandes record de 164 millions d'euros et un chiffre d'affaires en hausse de 47 % sur le premier semestre de l'exercice 2008-2009. Et d'expliquer sa santé florissante par ses choix stratégiques : privilégier les unités de plus de 30 mètres, celles qui s'adressent « à une clientèle internationale non impactée par les variations économiques actuelles », comme l'écrivait récemment, avec un grand sens de l'euphémisme, un magazine financier. Car si l'industrie nautique hexagonale redoute des lendemains qui déchantent, le marché des bateaux de luxe, lui, a progressé de 30 % l'an passé.
Il faut l'être, en effet, « non impacté », pour s'offrir un Couach. Le fleuron de la gamme, le 5000 Fly, son petit dernier de 50 mètres, coûte 27 millions d'euros dans sa version basique. Pour le construire, un hangar à sa mesure a été bâti port du Canal, où un premier exemplaire est en cours de montage. Le chantier annonce deux commandes fermes et une troisième en cours de finalisation. L'identité des heureux acquéreurs est tenue secrète.
Reste maintenant à Couach à s'équiper d'une cale XXL (175 mètres) pour mettre son géant des mers à l'eau. Elle est prévue sur le port du canal ouest, au beau milieu du village ostréicole. La procédure a été rondement menée. Les travaux devraient commencer incessamment sous peu pour s'achever mi-2009. Mais le calendrier risque fort d'être bouleversé tant le projet suscite des remous dans les milieux écologistes et ostréicoles. Des remous à la hauteur des 46 000 mètres cubes de vases qu'il va falloir évacuer, stocker, traiter, et des 9,2 millions d'euros que doit coûter l'ouvrage, entièrement financé sur fonds publics.
Le Département compétent.
Première question que pose abruptement Mireille Guénée, des Verts : « Est-il normal que la collectivité publique finance un investissement à l'usage exclusif d'un groupe privé, par ailleurs bénéficiaire, dont la holding est au Luxembourg et le patron réside en Suisse ? » (1) Pour Christian Gaubert (PS), vice-président du Conseil général de la Gironde en charge des ports, la réponse est oui : « Les ports relèvent de la compétence du Département. Nous devons fournir les prestations et les équipements nécessaires à leur activité. »
La construction de la cale avait été chiffrée à 6,2 M?. Le coût est passé à 9,2 M? afin de mieux l'intégrer dans le paysage. Maître d'ouvrage, le Conseil général s'est assuré les concours financiers de la Région Aquitaine (1,07 M?), de l'Europe (2 M?) et de l'État (400 000 euros de reliquat des crédits du « Prestige »). Un investissement à fonds perdus ? Non, assure Christian Gaubert : « Couach acquittera une redevance à chaque mise à l'eau, de 36 000 euros pour les bateaux de 30 à 40 mètres et de 54 000 au-delà. » Ce qui fait rire jaune les Verts : « Sachant que le chantier ne produira pas plus de deux 5000 Fly par an, il faudra un siècle pour rembourser l'équipement ! »
Quid des boues ? La seconde polémique est d'ordre environnemental.
Pour construire la cale et creuser le chenal d'accès au bassin, quelque 46 000 mètres cubes de terre, vase et sable vont être déblayés. Et stockés pour décantation sur un site de 3,3 ha, sous les fenêtres du lycée de la mer de Gujan-Mestras. « Ce sont des prés salés classés en zone naturelle remarquable et protégés par la loi littoral, s'insurge Mireille Guénée. Si on laisse faire ça, c'est la porte ouverte au n'importe quoi ! Et que va-t-on faire des boues ? »
Faute de réponse à cette question et à quelques autres, la Diren (Direction régionale de l'environnement) a émis un avis défavorable au projet. Elle s'oppose de même à la future cale dont l'étude d'impact sur le milieu marin est jugée insuffisante voire inexistante.
Le préfet de la Gironde, fort du feu vert de toutes les autres instances politiques et administratives, a toutefois autorisé l'opération. Mais ses deux arrêtés, signés au coeur de l'été, pourraient être bientôt contestés devant le tribunal administratif de Bordeaux.
(1) Le président de Couach SA est l'homme d'affaires bordelais Didier Cazeaux, qui demeure à Genève. Liens utiles : http://couach.com/ et http://www.challenges.fr/classements/fortune.php?cible=969
Auteur : Pierre-Marie Lemaire