AVANT LA VILLE: LA FORÊT USAGÈRE
Le quartier d’Arcachon a été détaché de la commune de La Teste de Buch par décret impérial du 2 Mai 1857. Mais c’est le 10 novembre 1853 que le divorce avait été consommé par la décision du Conseil Municipal de La Teste, confirmée le 24 février 1855, de mettre fin au statut usager de la Petite Montagne d’Arcachon. Ce massif forestier avait été séparé de la Grande Montagne de La Teste au cours des XVIIe et XVIIIe siècles à cause de l’avancée des dunes modernes. A partir de 1823, il avait été, petit à petit, dénaturé par de multiples constructions côtières et son statut était devenu obsolète, rendant inéluctable la décision des élus testerins.
Notre propos est donc d’étudier ce qui a provoqué ces décisions et comment on est passé de la forêt à la ville.
Description et statut
Cette petite forêt, «bos ou montanhas», en gascon, était à l’origine une «chênaie-pineraie» naturelle semblable à celle que l’on trouve actuellement dans la Grande Montagne de La Teste.
L’origine du nom : c’est d’ailleurs la présence des chênes qui est, très certainement, à l’origine du nom d’Arcachon. Il est apparu sous la forme d’«arcasson-arcaisson» au XIIIe siècle, vers 1205/1220, dans la Chronique dite saintongeaise (1) « Adonc s’en fui li rois de Bougie vers Arcaissom » (p.288).(donc les rois de Bougie -des Sarrazins, mais sans doute des Basques- s’enfuirent vers Arcachon). La forme -iss- correspondant au son -ch-, la prononciation était donc déjà la nôtre(2) (2).Il viendrait de «cassanus » (3), mot latin d’origine pré-gauloise ou pré-indo-européenne, ce que le Baron Durègne de Launaguet avait, dès 1928, pressenti (4). Cette étymologie que Dauzat avait rejetée (5) (car il ne savait pas qu’il y avait eu des chênes à Arcachon...) est cependant contestée par Bénédicte et Jean-Jacques Fénié (6) qui rattachent le toponyme au suffixe «ixone» signifiant une brèche et pouvant ainsi évoquer l’estuaire de la Leyre. Il est intéressant de noter qu’à plusieurs reprises au XVIII° siècle, notamment en 1748 (7), la forêt d’Arcachon est appelée «Montagne de la Canau», c’est-à-dire la vieille forêt qui longe le chenal de «Techan ou de Bernet», principal exutoire de la Leyre. D’autres y ont vu une analogie avec «Kar», la roche. En effet, au XVIe siècle, le nom devient Carcassone ou Carcaxon, (x = ch) et sur les portulans, on peut voir de petites croix signalant undanger aux navigateurs. Plus que des brisants rocheux, ce devaient être des bancs de sable et l’analogie vient peut-être de là. Une dune en gascon se nomme roque ou règue.
Le relief
: son relief était cependant plus simple que celui de la Grande Montagne. Bien que l’actuelle ville d’été, la ville basse, ait été moins tourmentée que la ville haute, les dunes y étaient assez nombreuses.Certaines existent encore, la dune Pontac, gravie par la rue du même nom, ou le massif de la Règue Blanque traversé par la voie ferrée. Il fallut y enlever 300.000 m3 de sable pour ouvrir la tranchée (9). Il y a aussi la dune côtière qui domine la rue Jéhenne.
le relief d'Arcachon
Le baron Durègne de Launaguet a d’ailleurs montré, dans une étude publiée en 1928(10), que la construction du quartier situé entre la gare et le Casino de la plage avait provoqué la disparition de la dune de Richon ou de Mauvezin. Elle était située en face de l’hôtel de France et l’on peut encore en voir l’amorce dans les pentes des rues -dont la rue Mauvezin- qui joignent le boulevard de la Plage à l’avenue Lamartine.
La dune de Richon (photo de Terpereau - BM Arcachon)
Un document d’époque la montre en arrière de l’église Sainte-Cécile, futur temple protestant, dont la place fut «remblayée». Cette dune, dans la parcelle d’Eyrac, fut éventrée lors du percement des Allées de Tourny, actuelle avenue Lamartine, puis arasée lors des travauxentrepris par Deganne. De même, dans le quartier du Mouing, l’Aiguillon actuel, des «dunes ontdisparu» (11)
La ville haute fut aussi remaniée : on supprima la «dune des musiciens», entre l’Avenue Victor Hugo, l’allée Stora et l’Avenue Gambetta. Il y avait, en 1863, deux chalets construits par la Compagnie des Chemins de Fer du Midi, pour loger les musiciens du Casino Mauresque. Son sable servit à combler en partie la cuvette en forme de marmite, la «caoudeyre», profonde de 30 mètres, délimitée, en Ville d’Hiver, par les allées Pasteur, Peymaou et Charles Rhoné.
La caoudeyre (plan R.Aufan)
La végétation : la végétation y était, semble-t-il, moins riche qu’en Grande Montagne. L’exposition au nord, le vent qui s’engouffrait entre les dunes orientées ouest-est, une humidité moins importante sont des éléments d’explication. En 1818, M. De Saint-Amans note que «cette forêt, composée presque partout de hauts pins, comme celle de la Montagne..., n’offre pas comme elle ces halliers touffus, ces fourrés impénétrables, ces fondrières dangereuses où les sangliers et les loups -il y a une vallée du loup, labat du loup, en Grande Montagne- pratiquent en sûreté leur bauge et leur tanière. Les arbres s’élèvent ici sur le sable au milieu des arbousiers...»(12). Ainsi, l’auteur ne semble pas avoir été frappé par la richesse des strates de chênes pédonculés si caractéristiques de la Grande Montagne. C’est aussi ce que remarquait un peu plus tôt, le 1° Messidor An V (19 juin 1797), le citoyen Duplantier, président de l’Administration Centrale du Département de la Gironde, dans son rapport (13) sur les forêts de La Teste : «On se garde bien qu’aucun chêne puisse s’y élever car il est permis à tout habitant de La Teste non propriétaire d’ailler couper quand il luy plaît, le chêne qu’il veut dans la forêt. Je vous assure qu’il use bien de son droit et que partout où les femmes peuvent pénétrer aucun arbre autre que le pin, ne peut recevoir le moindre accroissement ; on ne voit des chênes élevés que sur quelques hauteurs inaccessibles pour elles et leur belle venue annonce combien le sol leur convient».
Mais les usagers ne sont pas les seuls responsables. En 1825, d’ailleurs, dans une lettre au préfet datée du 10 juillet (14), 31 habitants se plaignent «qu’on ne trouve plus de quoi faire un bordagede chêne de la longueur de longueur de 12 pieds. Les propriétaires faisant justement tout ce qu’ils peuvent pour en anéantir l’espèce, attendu que l’espace occupé par un chêne est bientôtremplacé par un pin dont le revenu leur appartient exclusivement» et de citer «les charrons, constructeurs de tilloles et de navires » qui font sortir hors du Captalat «charettes, pinaces, bateaux, barques et navires pour le compte d’étrangers sans que les syndics propriétaires s’en formalisent».
Il est donc vraisemblable que dans les parcelles de la ville basse parcourues par le grand chemin de la Régue Blanque, la dune blanche, qui allait à la Chapelle, et donc particulièrement accessibles, le sous bois de chênes ait été plus utilisé qu’ailleurs?
C’est ce que remarque plus tard, vers 1850, l’arcachonnais Jean Lacou qui décrit celles qui s’étendent de la dune Pontac à la Règue blanque : « dans cette partie de forêt, on ne voit partout que des pins d'une vigueur extraordinaire, des arbousiers, des houx, des genêts, des ajoncs, des aubépins et des chênes en quantité. » végétation de la vieille forêt qu’il oppose bien à celle des forêts plantées à partir de 1808 sur les sables qui se trouvaient au sud : « Quelle différence envers les semis de l'État où il n'y a que des pins et quelques aigres genêts ». Quant au dessinateur Léo Drouyn nous montre, en 1850 une forêt à végétation très fournie.
La Forêt d’Arcachon ( Léo Drouyn Septembre 1850)
In Léo Drouyn « Le bassin d’Arcachon et la grande lande- CLEM 1998
Les accès : on empruntait habituellement ce « chemin de la chapelle » pour se rendre à l’ermitage de Notre-Dame. En procession, lors de la fête de l’Annonciation, le 25 mars, car une indulgence plénière de 100 jours avait été accordée en 1626 par le cardinal de Sourdis (15).C’était une occasion de fête tout le long de l’actuelle allée de la Chapelle où les pèlerins allumaient des brasiers pour frire et déguster « la sole, le rouget, le royan frais et des enfilades de poulets ».
Ce pique nique géant réunissait «les Testerins venus à pied à travers la forêt, les lanusquets - les landais- sur leurs échasses», tandis que les autres riverains du Bassin s’y rendaient en bateau pour les fairebénir. C’est ce que raconte en 1849, dans un opuscule «offert à madame la Préfète», une Testerine anonyme que nous pensons être Marie Laurencie Peyjehan épouse du sieur Lavialle, receveur de l’Enregistrement et fille de Pierre Peyjehan aîné, juge et maire de La Teste(16).
Les chemins reliant La Teste à la Montagne d’Arcachon.(carte R.Aufan)
Ce chemin qui partait de la place du Coum, à La Teste, avait 8 mètres de large pour le passage des troupeaux. Il longeait, sur le tracé de l’actuel cours Desbiey, le pied de la chaîne de dunes modernes, qui haute d’une trentaine de mètres, s’avançait inexorablement vers le nord. Il en partait plusieurs antennes vers le Mougne (écrit aussi le Mouing) où se trouvait le poste de douanes, vers la dune Pontac, la pièce d’Eyrac et celle des Places, clairières où se réunissaient les troupeaux de vaches «semi-sauvages».
Mais il y avait aussi d’autres accès :
-l’ancien chemin de la chapelle ou chemin vicinal N°52 qui passait devant la cabane de Lagrua et passant au sud du Lycée aboutissait près du Centre équestre puis par l’allée des dunes bifurquait en suite vers la chapelle. L’essentiel de son parcours est emprunté par une piste cyclable.
-le chemin des Abatilles qui part de La Teste au nord du golf (cabane du juge) et rejoint l’allée Camille Jullian puis l’angle sud-est du cimetière.
-le chemin rural du Moulleau, classé en 1847, reliait La Teste à la mer. Plusieurs tronçons existent encore : il garde ce nom au sud du golf, qui l’interrompt, puis traverse les semis au nord de la route du Pyla sur mer qu’il rejoint au bout de la rue Saint Thomas d’Aquin après avoir été de nouveau interrompu par le lotissement de l’Ermitage. Il arrivait alors vers 1810 dans la zone de semis effectués par Brémontier en 1787-88, au sud de la parcelle du Moulleau (pins de Mme Dalis en 1812) avant de bifurquer vers le rond point du Figuier.
L’usage de tous ces chemins ruraux classés tombera en désuétude lorsque sera construite la route La Teste - Eyrac (1845) puis Eyrac - La Chapelle (1849), l’actuel boulevard de la Plage.
Le statut :
ce qui paraissait au citoyen Duplantier un «abus aussi extraordinaire qu’inconcevable» était une des «libertés» dont jouissaient les habitants de La Teste au titre de leurs droits d’usage. Ceux-ci avaient été codifiés par une série de textes entre 1468 et 1759 et confirmés en l’An II, le 27fructidor (13 septembre 1794), après une lutte que Fernand Labatut nous a fait récemment revivre (18). Chaque habitant avait la possibilité de prendre librement, sans autorisation, dans la forêt appelée pour cette raison usagère, le bois dont il avait besoin pour ses usages courants : chauffage, construction des bateaux, fabrication des outils usuels...Il avait aussi, et c’était le plus important, le doit de demander, sans qu’on puisse le lui refuser, les pins dont il avait besoin pour construire.
Le tableau ci-après résume les principaux avantages dont jouissaient les habitants
Conditions Espèces Depuis Utilisation
Autorisation pins vifs 1468 construction
Librement chênes vifs 1604 construction et réparation des bateaux
Librement bois mort sec abattu ou 1468
à abattre, cimes et branches
des pins usagers chauffage
Librement bois vif d’autres espèces 1604 avirons, mâts... outils de labour,
charettes piquets pour vigne, cercles de
barrique
Librement bois vifs de marais et saulaies 1604 piquets pour tendre les filets de chasse
Libreme
droit de glandage 1500
|
Il faut y ajouter une tolérance d’utilisation du bois de chêne vif pour le chauffage à condition de ne couper que les rémanents et de nettoyer la forêt. Cette habitude s’était instituée au cours des temps bien qu’en 1535, 1746 et 1759, il ait été chaque fois précisé que la coupe en était interdite pour tout autre usage que la construction, et qu’en 1759 une grande partie de la forêt de La Teste ait été mise en défends afin que les chênes y repoussent.
Ces droits personnels, assortis depuis 1535 d’une interdiction de vendre le bois et de le transporter hors des paroisses du Captalat (La Teste, Cazaux et Gujan) et depuis 1604 de la recommandation de «couper en bon père de famille», supposaient le libre parcours de tous et limitaient les droits des « tenans tros de pinhadar» -les «propriétaires ayant-pins»-, à la seule possession du sol, des cabanes, de la résine et à la jouissance du bois aux mêmes conditions que les usagers.
Outre le bois-usager et la résine, la forêt fournissait aussi du goudron végétal obtenu en faisant brûler du bois de pin dans des fours spéciaux (19) La toponymie avec le nom de «Hourn Somart»,et les actes notariés, attestent la présence de fours dans la forêt d’Arcachon. Mais il n’en reste plus de traces : pourtant en 1928, lors de la construction de l’immeuble Camin, allée de la Chapelle, unfour a été découvert. Au-dessus avait poussé un gros chêne «à quatre branches rasantes» ; il était flanqué au nord et à l’ouest de 2 murs de 1 mètre en moellons et garluche. Malheureusement, il fut cassé pour construire. Albert de Ricaudy, qui faisait alors autorité en histoire locale, appelé pour expertise, ne s’y intéressa pas «faute de porcelaines»(20).
Mais toute la forêt d’Arcachon n’était pas soumise à ces droits d’usage, une grande partie en était affranchie et relevait, en ce qui concerne les coupes de bois et donc les constructions, de la loi commune.
Il est donc indispensable de délimiter cette «Petite Montagne d’Arcachon».
Les limites de la forêt usagère
Pour les déterminer, il faut remonter le plus loin possible dans l’Histoire et s’intéresser particulièrement à ce qui s’est passé au XVIIIe siècle, époque où les sables ont été tellement menaçants qu’il fut décidé enfin de les fixer. Nous disposons pour cela de deux types de documents : les actes notariés et les cartes, mais nous verrons qu’il y a une grande contradiction entre les cartes du XVlll e siècle que nous avons l’habitude de consulter Masse, Clavaux, Belleyme, Cassini... et les indications beaucoup plus fiables portées sur les actes lors des transactions. Comme cela remet en cause toute la tradition géographique locale, nous donnerons une analyse détaillée de ces actes.
Les actes notariés : sur le fonds de carte tiré d’une copie du cadastre dressé en 1810, nous avons reporté les limites des parcelles qui n’étaient pas soumises aux droits d’usage ainsi que leur nature. Nous nous sommes appuyés, pour cela, sur plusieurs textes :
- la transaction du 7 août 1746 (21) : le Captal reconnaît les privilèges de PEYJEHAN DE FRANCON à savoir que les «bois de FOURSOUMART et LA BETTE, aussi appelés maintenant LABAT de NINOT et BINETTE» ne sont plus usagers depuis le 25 mars 1543 car baillés à fief à Martin Deseaul et propriétés des maisons nobles de Palu et Francon en confirmation du texte du 10 octobre 1468 qui les avait déjà exclus de la convention générale.
Ce texte complète la transaction passée le même jour par le Seigneur avec l’ensemble des habitants(22)dans laquelle il est précisé que sont exclus de la convention «les bois appelés DEBERNET, FOURSOMAR, LA BETTE, LABA T DE NINON et BINETTE compris dans une baillette particulière du 25 mars 1543». Le bois dit «Du Bernet» (les vergnes = les saules) a été quant à lui exclu des usages dès 1468.
Ce bail à fief nouveau en faveur de Martin Desaul fut d’ailleurs produit lors du «procès» de l’An Il qui opposa certains usagers et les propriétaires et aboutit à la transaction qui confirma le caractère à la fois privé et usager de la forêt. Il semble à l’examen que le terme de BERNET ait, à l’origine, concerné l’ensemble des terrains ci-dessus et que les toponymes ultérieurs ne désignent en fait que des lieux-dits à l’intérieur d’un même ensemble ; celui que, dès le départ, le seigneur s’était réservé et qu’il a ensuite baillé à fief,les Peyjehan en héritant au XVllle siècle.
De plus, en 1543, les pièces devaient être beaucoup plus étendues vers l’ouest, la côte ayant reculé, et aussi vers l’est, les sables venus du sud les ayant ensuite grignotées. D’ailleurs, le toponyme de «Hourn Somart» est encore utilisé au XIXe siècle pour désigner les semis modernes sur une superficie de 116 hectares, au sud de la dune de Peymaou, c’est à-dire sur une grande partie de l’actuel secteur des Abatilles au sud de l’allée des Dunes qui limite la Ville d’Hiver
-
La déclaration rédigée en 1748 (23) : Peyjehan de Francon y reconnaît tenir à fief du Captal les «pièces de pinadas de BINETTE, LABAT DE NINOT, HOURN SOMART, LA BETTE, LES ABATILLES et LE MOULLEAU, dans la petite forêt d’Arcachon, confrontant en entier au levant des sables blancs, au midy le truc de Quentin, au nord Bernet et le Bos, au couchant battant le rivage de la petite mer». Ce texte est très important car il prouve qu’en 1748, la forêt était continue jusqu’au truc de Quentin, au droit de l’actuel Super-Pyla.
Le parcellaire de la Montagne d’Arcachon
- La déclaration des propriétaires de la forêt de La Teste du 1el août 1756 (24) : Ils reconnaissent devoir au Captal 10 sols par millier de résine extrait des pins de la forêt usagère, et ils précisent «toujours le bois de BERNET, FOUR SOMART, LA BETTE, ABATILLES, LA BAT DE NINOT et BINETTE exceptés».
- La vente du 23 février 1775 (25) : Dame Marie Ducasse, veuve de Me Jean Baptiste Peyichan Francon, et sieur François Peyiehan, seigneur de la Maison noble de Francon, vendent à sieur Daisson Jeantas aîné, marchand, pour 5.500 livres, les parcelles «d’EYRAC, BINETTE, LABAT DE NINOT, HOURSOMART, LES HABATILLES, toutes les cinq dans la montaigne d’Arcachom» ainsi que les parcelles de «MOULLEAU et LES BETTES» pour lesquelles il n’est pas précisé où elles se trouvent.
- L’acte qui le complète, du 8 juin 1775 (26) : Marie Baleste, 58 ans, veuve de Martin Daisson, nièce par alliance de Jean Daisson Jeantas, utilise son droit de retrait lignager. En effet, lorsqu’une personne aliène un «propre», bien patrimonial, un membre de la famille peut le racheter. Elle offre donc à ce dernier, qui refuse, de racheter les pièces ci-dessous pour 4.000 livres, alors qu’il les a payées 5.500 livres ! Ces 4.000 livres, monnaie de compte, devant être réglées en louis d’or.
L’intérêt de cet acte est que les pièces sont confrontées comme le montre le tableau suivant :
Nom Levant Midi Couchant Nord
Dayrac Dayrac (Dumora) id° Les Places Bassin
Les Places Dayrac(Bireban) De Machen (Peyjehan) Les Places Bassin
Binette Bos (hérit. Marie) Sables et Labat de Ninot Bernet Bos
(Peyjehan)
La Bat de
Ninot Sables Hournsomard pins mer Bernet +
(Peyjehan) Binette
Hourn
Soumarq Sables Sables + bassin HournSomart.
Abatilles (Peyjehan)
Abatilles Sables Les bettes bassin Hourn Somart.
Les Bettes Sables Sables bassin Abatilles
Moulleau Sables Pelous bassin Pelous
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Cet acte indique que toutes les parcelles sont en pins, avec cabanes, fours et dépendances, il précise même que «Labat de Ninot» est affermée à Lagachot et que «les Bettes» l’est à Tauzin. Toutes ces parcelles, sauf le Moulleau, sont signalées comme faisant partie de la Montagne. Il infirme d’autre part le texte de 1746 dont la rédaction pouvait faire croire que «bette» était un ensemble formé de La bat de Ninot et Binette, alors qu’elle est plus au sud. Il semble que le nom de BETTES ou plutôt LETTES (vallées entre deux dunes) ait été remplacé en 1775 par ABATILLES (petites vallées, bat en gascon). En effet, par un acte du 8 novembre de la même année enregistré par Peyjehan, notaire royal ,François Alain Amanieu de Ruat concède à titre de fief à Pierre Portié, Jean Cormarin, Jean Lalanne et Pierre Dejean, pour y faire «la pêche des canards et des oiseaux de rivière, tous les lacs d’eau douce qu’il y a actuellement et tous ceux qu’il y aura à l’avenir quy sont et seront sur les sables et terrain apellé LES ABATILLES sittués sur le dit lieu de La Teste près la Montaigne d’Arcasson». Le Captal précise bien que ces terrains sont près et non dans la petite montagne.
On pourrait croire d’après ce texte qu’il y avait un autre lieu appelé les Abatilles un lieu composé de lettes, de petites vallées, en sables et lagunes différent de la parcelle forestière. Mais comme Ruat avait le droit de concéder la chasse sur des terrains «privés», il s’agit donc toujours de la même parcelle des Abatilles ; celle-ci fut vendue à Daisson par les Peyjehan - dont Pierre Dejean, futur gendre, par son épouse Marie, de Jean Baptiste Peyjehan, adjoint de Brémontier et auteur des premiers semis, est un des propriétaires ! - D’ailleurs, un acte du 12 juillet 1740 (notaire Peyjehan) établissait déjà l’équivalence entre ABATILLES et BETTES.
- La reconnaissance de fief de Marie Baleste Marichont (27) : Ce texte est lui aussi très important car il donne pour 1781 de nouveaux confronts :
Pièce Levant Midi Couchant Nord
Vinette Peymaou La bat de Ninot Bernet Bosc
(abbé Chassaing) (Peyjehan) (Marie)
Labat de Ninot Machens et Hourn Somart Bassin Vinette
Chassaing (Peyjehan)
Four Soumarcq sables Abatilles sables Labat de Ninot
(Baleste Marichon).
Abatilles sables sables sables Four Soumarcq
(Baleste Marichon)
Moulleau sables sables bassin sables
|
Ce texte souligne donc :
·
que le Moulleau est alors définitivement isolé par les sables dont l’attaque s’est donc produite entre1748 et 1775. Elle a connu alors une pause : le Moulleau est confronté à des pelous, ce qui veut dire que Ia végétation a repris, avant que le sable ne se déchaîne de nouveau entre 1775 et 1781 ;
·
que le Moulleau est bien un vestige, comme le disait Durègne, de l’ancienne forêt, sans qu’on puisse dire pourquoi elle est absente des textes de 1746 et 1756 ;
·
que depuis 1775, les sables ont aussi attaqué dans le secteur des Abatilles et du Four Somart-Daisson recouvrant en 6 ans une partie de la forêt. Nous sommes donc au plus fort de la menace et cela permet de comprendre pourquoi les Captaux n’ont, de 1772 à 1782, cessé de demander l’autorisation de fixer les sables. C’est peut-être ce qui explique qu’en 1783 «plusieurs fondations de messes ne sont plus acquittées les fonds ayant été détruits par l’incendie et les sables»(28).
- L’acte de partage du 13 décembre 1828 (29) : Passé entre les héritiers du même sieur Daisson Jeantas, cet acte précise que les «pièces de pins appelées LABAT DE NINOTS, HOURN SOUMARD, LES ABATILLES et LE MOULEAU ne sont pas soumises à l’usage».Ces documents nous confirment bien que l’usage ne s’exerçait pas sur toute la forêt ou Petite Montagne d’Arcachon et nous montrent l’étendue et l’évolution de ce massif. La question qu’on est alors amené à se poser est la suivante : pourquoi cette forêt est, du Bernet au Moulleau, absente de toutes les cartes du XVllle siècle ?
Les documents cartographiques : La difficulté est de situer exactement ces parcelles sur le terrain. A partir de 1810, les documents sont incontestables, il s’agit :
·
d’un cadastre commencé en 1808 pour la confection duquel les propriétaires furent obligés d’ouvrir, à leurs frais, des laies (1 août 1810). Il fit l’objet d’un arrêté de classement le 18 mai 1811. Les plans officiels ont disparu, les matrices conservées à La Teste et Bordeaux sont incomplètes et souvent en piteux état. Heureusement, nous en avons depuis peu une copie que nous avons utilisée pour les fonds de carte antérieurs à 1849.
·
du cadastre dit «impérial», terminé le 25 septembre 1850, conservé à Bordeaux et Saint-Germain en Laye. C’est de ce document que Durègne s’est maladroitement inspiré et c’est celui que nous utilisons pour les cartes postérieures à 1849.Par contre, avant 1810, les cartes sont très difficiles à interpréter et elles contredisent les actes notariés que nous avons retenus (30)
C’est ainsi que pour Claude Masse (1708), il n’y a aucune forêt au sud du Bernet. Pour Mesnil ou Mesny (1763), il y a deux massifs isolés à l’intérieur des terres, ce que reprend Cassini (1804). Pour les autres, le Chevalier de Karnay (1768), Sicre de Cinq Mars (1772), Clavaux (1772 et 1776), Belleyme (1791), Bazignan (1792), il n’y en a qu’un seul dont la latitude correspond d’ailleurs à la parcelle du Moulleau, que Belleyme nomme Monteau. Il est tantôt légèrement à l’intérieur (Karnay, Belleyme, Bazignan), tantôt en bordure immédiate de la passe (Clavaux).
Pourtant, sur une carte qui pourrait dater de 1746 (31) et qui est une copie de celle de Masse, apparaît nettement une trame forestière qui, à partir du Bernet, s’allonge vers le sud et peut confirmer ainsil’acte de 1748.
Que faut-il donc en penser ? Dans un ouvrage récent, Catherine Bousquet-Brousselier (32) nous apporte un certain nombre de solutions :
a- les cartographes du XVllle siècle ne sont précis qu’autour du site qui les intéresse ; ainsi, nous dit-elle, «la carte de Bazignan et de Roché en 1802 -dont le but était l’édification d’une batterie- reprend la carte levée par Bazignan en 1792 qui, elle-même, a été principalement composée à partir des levés de Karnay (1768) pour les passes et de ceux de Mesnil (1760-66) pour les chenaux du bassin et les terres» !
b- Mesnil ou Mesny est à l’origine des levés sur le terrain en 1762-63 (feuillet n° 25 de La Teste et n° 32 de Cazaux). Ces relevés servent à la gravure de la carte de la Guyenne au 1/43200, dite Carte de Belleyme. Celle-ci a duré jusqu’en 1789 et la carte fut publiée en 1791 sans que la planche concernant La Teste ne soit vérifiée, contrairement à celle de Cazaux qui le fut en 1786. Les travaux de Mesnil-Belleyme ont aussi servi à Cassini car les feuilles de la Carte de Guyenne ont été vendues au directeur de la Carte de France (5.000 francs dont 2.000 pour les vérifications), afin d’être réduites au 1/86400. Ce dernier s’était d’ailleurs engagé à attendre la publication de la carte de Belleyme pour présenter les siennes au Roi, mais rompit le contrat en 1783 en ce qui concerne la carte du Médoc (33). Cette seconde carte, corrigée entre 1792 et 1812, porte le nom de Carte de Cassini, la feuille concernant La Teste ayant été publiée en 1804. Il est donc impossible à la fois de dater un détail, en tenant compte de la date d’édition, ni de dater les cartes à partir des détails qu’elles représentent, d’autant qu’elles ont été réutilisées. Deux exemples le montrent :
·
Belleyme et Cassini dessinent le Fort Quentin, pourtant disparu en 1775 (34) car leurs levés sont de 1763.
·
la carte dite de Mesnil conservée aux archives départementales porte des semis ; ce sont ceux de Brémontier qui ont été rajoutés après 1813. On ne peut donc les attribuer à Desbiey en se basant sur la présence de ce dernier lors de la venue de l’intendant Boutin en 1769 (35)
c) Les cartographes du XVllle siècle «idéalisent le site» afin de «faire ressortir un message». Ainsi, ce n’est pas parce que «la facture de la carte est soignée» que «l’image qu’elle donne est réelle». Catherine Bousquet-Bressolier signale ainsi des bras de mer dont la largeur sur la carte dépend plus de la quantité de poissons qu’on peut y pêcher que de sa taille réelle sur le terrain. Les cartographes ont-ils donc minoré les forêts pour faire ressortir l’invasion des sables ?
Masse, en 1708, est impressionné, dit-il, par «les montagnes de sables ou dunes qui, situées au sud de la forêt d’Arcachon, sont très hautes et difficiles à traverser» (36). Quant à Mesny, vers 1763, il nous raconte qu’observant le signal placé en 1762 par les membres de l’Académie des Sciences sur le point le plus haut de la dune du «Petit Pissens» et le comparant avec celui qu’il plaça lui-même en 1763, il constata que les vents avaient apporté une masse de «300 pieds-cubes» sur le sud-est. Il estime d’ailleurs à une lieue de large sur 60 de long les dunes à l’ouest de La Teste et cite le bois du Laurey, au dessus du golf actuel, «qui ne représente plus qu’une vingtaine de pieds de pins forts petits et torts» alors qu’il était «selon le témoignage de gens de 45 ans, de plus de 400 arpents»(37) .
Carte de Clavaux- 1772. (Ste Archéologique de Bordeaux)
Dans ces conditions, il n’y a que trois cartes fiables, celle du Chevalier de Karnay, reprise en 1772 par Sicre de Cinq Mars, et celles de Clavaux de 1772 et 1776. Le premier représente le Moulleau légèrement à l’intérieur, ce qui pourrait prouver que les sables commencent à le recouvrir, l’autre le situe en bordure de mer. Or, la passe sud qui longe cette parcelle s’est creusée en 1771 de 34 pieds(38), entraînant donc une érosion intense de la côte qui remet les sables en mouvement. Mais ni l’un ni l’autre ne dessinent l’ensemble Hourn Somart Abatilles. Auraient-ils repris les levés terrestres antérieurs, employés qu’ils étaient, l’un pour le balisage des passes, l’autre pour les projets de Monsieur de Civrac entre Lanton et Biganos ?
On ne peut cependant aussi facilement négliger Clavaux. En effet, sur l’espace de dunes blanches entre le Moulleau et Bernet, il indique en 1772 «Fort de M. De Sicre projeté», confirmant ainsi les deux cartes de ce dernier et, en 1776, il note au même endroit «forêt projetée».
Comme l’acte de 1775 mentionne déjà cette forêt, ses relevés sont donc antérieurs, ce qui est normal, à la date de publication. D’autre part, l’acte de 1775 précise que La Bat de Ninot (au nord) et Les Bettes, au sud, sont affermées, cela indique qu’il s’agit de forêts en production et non de semis. Dans ces conditions, on peut imaginer qu’une avancée de sables a eu lieu entre 1748 et 1772, recouvrant les parcelles de Hourn Somart et des Abatilles où il y a encore en 1775 des «lacs d’eau douce et des sables». Cela expliquerait la présence sur la carte de Mesnil (et celle de Cassini) de deux îlots (Les Bettes et le Moulleau ?) isolés au sud de la forêt d’Arcachon. Le propriétaire, Peyjehan de Francon, aurait alors procédé à des semis, avant de revendre le tout à Daisson. On pourrait donc imaginer le scénario suivant :
·
1748 : la forêt est continue de Bernet au Fort Quentin.
· 1748-1762 : la passe s’installe au sud, l’érosion remobilise les sables, les parcelles de Hourn Somart et des Abatilles sont recouvertes, le Moulleau est isolé. En 1746 déjà, des propriétés du Captal ayant été recouvertes (39), celui-ci avait conçu le projet de former avec les habitants une compagnie par actions destinée à fixer les dunes et vacants. Mais les droits de parcours sur les vacants accordés en 1550 avaient empêché la réalisation du projet. Il faudra attendre 1782.
Cartes R.Aufan
·
1763-1772 : semis effectués par Jean Baptiste Peyjehan, seigneur de Francon, reconstituant la forêt depuis Bernet jusqu’aux Bettes ; le Moulleau reste isolé par des dunes où la végétation naturelle a repris. Ces semis vraisemblables, antérieurs à la déclaration royale du 21 mai 1782 qui inféodait les dunes et vacants à Ruat, pouvaient se faire sans attendre cette décision puisqu’il s’agissait d’anciennes forêts privées, non usagères de surcroît.
· vers 1780 : reprise de la marche des sables qui ne sera stoppée qu’en 1787 par Jean Baptiste Peyjehan jeune et Brémontier. Un document de 1817 le confirme : le 14 avril (40), Marie Daisson, veuve Dalis, conteste une décision de Dejean. II s’agit de la mise en gemmage des semis de l’Etat et la contestation concerne les bornes entre ses propriétés de Hourn Somart et des Abatilles «toutes trois entourées de semis sauf le Hourn Somart qui, au nord, touche aux pins de M. Peyjehan» et dont les bornes «devraient être des pins vieux de plus de 25 ans qui sont le reste d’autres pièces détruites par les sables dont les auteurs de l’exposante étaient propriétaires et que des personnes encore vivantes ont exploitées».
Cela veut dire que les deux pièces des Abatilles (Abatilles et Bettes) sont bien le reste d’une forêt qui appartenait aux Daisson et qui, avant 1792, était exploitée. Les pins bornes en question étant à la lisière ouest, on peut donc penser que c’est ce qui bordait la dune des Abatilles semée par l’Etat en 1810.Cette attaque s’est donc produite entre 1775 et 1781 dans le secteur qui va de l’allée des Mimosas au nord, à l’allée de Luze au sud (soit toute la zone Fronton, Tennis, Tir au Pigeon, Parc des Abatilles, Aérium).
La comparaison de deux cartes marines de Karnay (1768) et Taffard (1810) montre d’ailleursque la côte a reculé en cet endroit. Il est vraisemblable que les sables accumulés sur le rivage ont été repris par le vent et ont recouvert les dunes côtières. Il n’était pas alors possible de les arrêter puisque l’autorisation royale de planter les dunes côtières ne fut donnée à Ruat que le 31 mai 1782.
Cette invasion de sable a ensuite continué, envahissant le Hourn Somart Peyjehan et rejoignant la Caoudeyre, zone de déflation déjà envahie en 1775. Le prouve en 1811 une lettre du 24 août adressée par Dejean, inspecteur des semis, à M. Dalis, négociant à Biscarrosse (41) dans laquelle il lui notifie «d’avoir à faire couvrir -par des clayonnages- pendant cette année, la partie de sable blanc qui peut vous appartenir entre vos deux propriétés du Hourn Somar et des Abatilles, ainsi que la portion que vous pouvez avoir de celui qui est au nord du Truc de Peymaou, dans l’étendue de la Forêt d’Arcachon».
Ces pièces n’appartenaient pas à Dalis, héritier des Daisson ; elles correspondaient à la parcelle de Hourn Somart Peyjehan et au lieu-dit la Caoudeyre qui cerne, de l’ouest au nord, le Mont des Rossignols (nom qui, lors de la création de la Ville d’hiver, remplace celui de truc de Peymau). D’ailleurs, une carte anonyme des années 1820, possédée un temps par la Société Scientifique d’Arcachon et dont nous avions pris copie, porte sur cette parcelle la mention «pins de M. Peyjehan». Cela correspond à la matrice cadastrale de 1818 qui attribue cette parcelle n° 24 de 16 arpents, 46 perches et 66 mètres carrés à Pierre Peyjehan, père, juge de paix. Son second fils, Peyjehan Auguste, la conservera en copropriété avec son neveu P.J. Baleste Marichon de 1827 (Pierre est mort le 27 février) jusqu’en 1848, avant qu’elle n’échoie aux Nouaux. Elle fut donc ensemencée entre 1812 et 1818.Quant à la Caoudeyre qui confronte au levant La Bat de Ninot et au nord Binette, elle sera en 1812jointe à ces deux parcelles privées pour se retrouver ensuite dans les semis de l’Etat. Elle a donc été ensemencée par l’Etat qui ne l’a pas rétrocédée à leurs anciens propriétaires malgré l’article 1 du décret du 14 décembre 1810. En effet, la plupart des propriétaires avaient, à la suite des Peyjehan, renoncé à toute propriété sur les anciens sables fixés par l’Administration.
Quelle fut l’attitude des habitants face à cette situation ? Toutes ces parcelles ne sont donc pas usagères. Pourtant, dans l’esprit de la population, il en est autrement. L’exemple, en 1841, des démêlés entre Nelly Robert, propriétaire de Binette, et Daussy fils aîné de Gujan (42) illustre bien cette différence d’appréciation. Ce dernier a été traduit devant le juge de paix en vue d’avoir à payer 80 francs de dommages et intérêts, parce qu’il avait, chez Nelly, à Binette, «fait couper des branches d’arbousiers pour faire des ganchots destinés à élever les rameaux de lavigne au dessus de la terre». Daussy affirme que la pièce de Binette a toujours été soumise à l’usage «même si en 1746, on a fait des tentatives pour en soustraire cette pièce» puisqu’en 1759, une nouvelle transaction affirma que les droits «s’étendraient indifféremment sur toute l’étendue des dites forêts».
Il y a, dans l’esprit de cet usager et du Conseil Municipal de Gujan qui l’appuie, une mauvaise interprétation des textes : l’adverbe «indifféremment» concerne exclusivement le bois de chauffage dont les propriétaires avaient voulu en 1746 limiter l’usage aux marais et aulnaies, les «braus et bernèdes». Le texte de la transaction précise d’autre part que celle de 1746, dans laquelle les pièces exclues avaient été énumérées, sera exécutée selon sa forme et teneur «dans tous les points et clauses sur lesquels il n’aura pas été dérogé» par celle de 1759.
Or, non seulement le texte de 1759 n’aborde jamais cette question, mais encore, dans le relevé des contestations qui justifient le nouvel accord, il n’est question, pour les restrictions territoriales, que de ce qui concerne le bois de chauffage. Nous aurons l’occasion de constater d’autres interprétations tendancieuses.
Il est cependant certain que toutes ces parcelles non soumises à l’usage n’opposaient donc aucun obstacle à une urbanisation. Or, en dehors de cabanes forestières appartenant à leurs propriétaires et d’une construction élevée près de l’église (parcelle de Binette) mais détruite en 1855, elles restent intactes jusqu’au cantonnement des droits.
Il n’est pas bon, en effet, de construire sur cette côte qui recule inexorablement, noyant petit à petit la forêt ancienne tout comme les 80 hectares de semis effectués au bord de la mer dès 1787-88 par Brémontier et Peyjehan.
Une preuve de ce recul est donnée par les calculs de G. Granjean en 1897, concernant la maison forestière du Moulleau : en 1812, elle se trouvait à 480 mètres de la plage et n’en était plus qu’à 167mètres en 1852, soit un recul de 313 mètres. Ces parcelles non seulement n’ont pas été urbanisées avant 1855, mais elles sont restées entre les mains des mêmes familles. Cela nous amène à une autre constatation qui ressort de nos recherches cadastrales et notariales, à savoir la permanence de la propriété foncière.
NOTES :
1) Jacques Clémens in Bulletin de la SHAA, n° 2, juillet 1972.
2) Précisions communiquées par Jacques Plantey.
3) Jacques Bernard in Le Pilat, la grande dune et le Pays de Buch, Arpège, 1983 et Dictionnaire
historique de la langue française sous la direction d’Alain Rey, Robert, 1992.
4) Durègne de Launaguet in Arcachon, son histoire, son évolution, Librairie Générale, 1928.
5) A. Dauzat et Ch. Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France.
6) B. et J.J. Fénié in Toponymie Gasconne, Sud-ouest Université, 1992.
7) Lamarque de Plaisance in Réponse à Adalbert Deganne, B.M. Arcachon.
8) Jacques Bernard, op. cit. Carcassonne est donnée par un Portugais, Joao Alfonso, dit Alfonso
de Saintonge ; Carcaxon l’est en 1577.
9) AD Gironde 3E 22626, reconnaissance féodale de Joseph de Caupos.
10) Durègne de Launaguet, Sur la petite Montagne d’Arcachon, bulletin de la Station Biologique
d’Arcachon. Tome 25, 1928.
11) L’Avenir d’Arcachon, 24 octobre 1880.
12) Henri de Saint-Amans, Voyage agricole et botanique dans une partie des landes de Bordeaux,
1818.
13) Rapport fait à l’Administration Centrale par le citoyen Duplantier, (manuscrit, archives privées).
14) A.M. La Teste.
15) Almanach général d’Arcachon, 1863, Bordeaux, E. Bissei.
16) La Fête de la chapelle d’Arcachon offert par une Testerine à Madame la Préfète, 1849, chez
Chaumas Gayet, libraire à Bordeaux.
17) Pey de Mau apparaît en 1518; en 1562, on l’écrit déjà Peymau. Or Pey, qui signifie Pierre,
est aussi, en Médoc, un tertre, une éminence (alors qu’ailleurs un sommet est un puch, truc ou tuc
Si c’était le cas, le Truc de Peymaou, qui se trouvait dans la pièce de « Machens et Peymaou », serait
une tautologie
18) Fernand Labatut, La Révolution à La Teste, SHAA 1989. ~,
19) Robert Aufan et François Thierry, Histoire des produits résineux landais, Arcachon 1991.
20) Témoignage recueilli par Mme Annie Lesca-Seignes qui nous l’a aimablement communiqué.
21) A.D. Gironde 3E 22625. Notaire Peyjehan.
22) Id°.
23) Reconnaissance féodale de Peyjehan de Francon. A.D. Gironde 3E 22626.
24) Id°, 3E 22646, Notaire Eymericq.
25) AD Gironde 3E 22636, Notaire Peyjehan.
26) Id°, 3E 22656, notaire Eymericq.
27) A.D. Gironde 3E 22626, notaire Peyjehan.
28) Abbé Petit, Le Captalat de Buch pendant la Révolution Française, Férêt Fils, Bordeaux, 1909.
29) A.D. Gironde 3E 251555, notaire Clément Soulié.
30) Les cartes utilisées sont les suivantes :
Masse 1708 (IGN).
Mesny AD Gironde C 4673.
Cassini (IGN).
Chevalier de Karnay BN 58-2-4 in SHAA n°36,1983, p. 76.
Sicre de Cinq Mars, 1772 (IGN).
Clavaux 1772, Société Archéologique de Bordeaux,
1774, B.N. in SHAA n° 36, 1983.
Belleyme (IGN).
Bazignan, 1972, in SHAA n° 36, 1983.
31) Carte attribuée à Claude Masse. Archives du Génie. Bulletin de la SHAA n° 36, 1983.
32) C. Bousquet-Bressolier, F. Bouscau et M.J. Pajot, Les aménagements du
Bassin d’Arcachon au XVIIIe siècle, mémoires du laboratoire de géomorphologie de l’Ecole Pratique
des Hautes Etudes, n° 43, Dinard 1990.
33) A.D. Gironde C 2413.
34) Robert Aufan Les canons de la Roquette, in SHAA n° 61.
35) C’est ce que fait pourtant C. Bousquet Brousselier, op. cit. p. 189.
36) Masse, Mémoire sur la carte du 6e carré, in SHAA n° 78, 1993.
37) Mémoire de Mesny, A.D. Gironde C 2413.
38) Bazignan 20 août 1792. A.M. Bordeaux fonds Delpit in SHAA n° 36, 1983.
39) Mémoire de Ruat du 20 juillet 1776, in SHAA n° 34, 1982.
40) A.D. Gironde S3 Dunes.
41) Lettre reproduite par A. Lalesque Aîné in Opinion sur les droits de la commune de La Teste,
27février 1863.
42) Registre des délibérations du Conseil Municipal de Gujan, 24 octobre 1841.
Robert AUFAN http://naissancedarcachon.free.fr/
Voir aussi : http://r.aufanforetusagere.free.fr/ et www.foret-usagere.com