Sur la plage d’Arcachon, de la jetée d’Eyrac à la jetée Thiers, des petits murets de béton s’échappent des larges escaliers qui mènent à la plage. Après une course rectiligne sur le sable, ils se jettent dans le bassin sur une trentaine de mètres. Découvrant à marée basse leur pied chaussé de varech et de paquets de petites moules où se chamaillent de minuscules crabes. Ces murets disparaissent presque totalement à marée haute.
Ils ont servi de plongeoirs d’initiation impromptus à des générations d’arcachonnais… et (nous allons le voir) de rampes de lancement à des milliers de nageurs débutants !
Apprendre à nager : la méthode douce de M. Doucet (le bien-nommé)
Quand j’étais enfant, j’étais fasciné par la façon dont Mr Doucet (prof de gym en période scolaire et sympathique responsable d’un portique de plage l’été) apprenait à nager aux jeunes estivants inscrits à son club.
Une large ceinture munie d’un anneau dans le dos prenait la taille de l’apprenti-nageur. Mr Doucet tenait de ses deux mains fermes une longue et épaisse canne en bambou d’où pendait un crochet au bout d’une solide corde. Barbotant jusqu’aux cuisses à marée haute, ou déambulant sur le muret qui jouxtait son club à marée moyenne, il maintenait à la surface de l’eau les enfants qui s’initiaient à la brasse. On aurait pu imaginer, de loin, un pêcheur « travaillant » une grosse pièce prise à l’hameçon.
– « Mouvements des jambes, en grenouille, répétait Mr Doucet, et ouvre bien tes bras devant toi ». Dès qu’il sentait l’élève se décontracter, Mr Doucet retirait discrètement le crochet de l’anneau et abandonnait à lui-même le jeune nageur si intelligemment trompé. À partir de ce moment, quelques paroles encourageantes suffisaient à entretenir les mouvements appliqués et efficaces de l’enfant qui flottait tout seul sans s’en rendre compte.
Mais si, par malheur, un mauvais plaisantin s’approchait du débutant et lui disait discrètement : « Fais gaffe, t’es plus attaché ! », celui-ci se débattait aussitôt et commençait à couler en suffoquant. Le coupable avait alors intérêt à bien maîtriser la nage libre car la bonhomie de M. Doucet le bien-nommé n’allait pas jusqu’à accepter ces plaisanteries stupides et dangereuses (et qui, par ailleurs, lui faisait perdre durant quelques temps la confiance de son élève).
Le lendemain, tout plaisantin potentiel étant éloigné à bonne distance, M. Doucet reprenait la leçon sous une autre forme : « À partir de maintenant c’est toi qui me dira “Top” pour que je retire l’anneau ». L’apprentissage était un peu plus laborieux (la méfiance est un plat qui se digère longtemps). Mais deux ou trois jours après, les “Tops” de l’enfant survenaient bien longtemps après que l’anneau fut déjà discrètement retiré.
En moins d’une semaine l’enfant savait nager.
Autre loisir, autres techniques : apprendre à son enfant à faire du vélo
1. Méthode dite du « vélo-bobo-mercurochromo », utilisée par les parents hyper-rationalistes et peu enclins aux mystères de l’âme humaine, lesquels, au risque d’accusation par les voisins de sadisme prémédité, s’en tiennent stricto sensu à l’affirmation que « en toute chose, il suffit de maîtriser la technique pour réussir ».
Déroulement : le parent tient la selle du vélo et court pendant que l’enfant pédale ; puis quand il juge que l’enfant maîtrise la technique, il s’arrête de courir et lui crie :
« Bon, maintenant, tu te débrouilles tout seul ! ». Alors l’enfant à l’instant même, se met à louvoyer sur le chemin avant de se casser lamentablement la figure sur la chaussée. Le vélo est généralement remisé au cagibi jusqu’à disparition complète des croûtes sur les genoux et les coudes…
2. Méthode dite « du mensonge cyclo-thérapico-éducatif », certes un peu culpabilisante pour certains parents, mais connue pour sa redoutable efficacité depuis que le vélo existe (en général, acceptée même par les parents hyper-rationalistes et scrupuleusement honnêtes cités ci-dessus, après de multiples plaies à désinfecter et diverses réparations coûteuses du vélo due à la méthode 1).
Déroulement : Le parent continue à courir à côté du vélo après avoir lâché la selle et crie avec un calme qui s’essouffle un peu sur la fin :
« Allez, c’est bien, continue à pédaler, tu n’as rien à craindre, je tiens le vélo… dou… pffff-pffff… dou-ou-cement pfff-pfff-pfff ! » et l’enfant pédale alors tout seul, comme un véritable roi de la petite reine.
Pour conclure
Ainsi donc, après ces différents tests démontrant, in situ, l’intérêt primordial d’un acte placebo pour surmonter certaines situations psychosomatisantes, on voudrait me faire croire que son action, « l’effet placebo », est une invention débile et inutile créée de toutes pièces par de doux rêveurs insensés !…
Allons donc !
Jacques Poustis