Le 16 août 1809 mourut un certain Nicolas Brémontier. Voici donc deux cents ans. Un jour anniversaire qui serait complètement passé inaperçu si la vaillante équipe de “Histoire et traditions du Bassin d’Arcachon” n’avait relevé l'événement pour le célèbrer autour de la stèle, du cippe, élevé à la sortie ouest de La Teste pour honorer la mémoire de ce Nicolas Brémontier auquel notre région doit grandement son visage actuel et sa richesse. Ce qui fait une sacrée dette, trop oubliée aujourd’hui !
Photo Arcachon Nostalgie
Pour que l’oubli de cette date ne soit pas total, mettons donc le cap sur la vie de Nicolas Brémontier. Il naît en 1738 au Tronquay, dans l’actuel département de l’Eure, en plein milieu de la forêt de Lyons où poussaient les mâts des vaisseaux de Colbert et il fait partie des premiers ingénieurs formés dans la fameuse école des “Ponts et Chaussées”, créée par Louis XV en 1747. On le retrouve sous-ingénieur à Périgueux puis à Bordeaux. Il y revient en 1784 avec le grade d’ingénieur en chef et, fort de sa fonction officielle, il s’attaque à la fixation des dunes littorales qui menaçaient déjà beaucoup des prairies fertiles et de bonnes vignes testerines et surtout bloquaient ce vieux rêve stratégique de canal Bordeaux-Espagne. Il y a d’autant plus péril en la campagne qu’une rumeur se répand dans Bordeaux : bientôt, les dunes engloutiront la ville !
L'abbé Mathieu Desbiey
Un péril déjà bien mesuré par les Testuts eux-mêmes puisque le premier d’entre eux, le captal Jean Baptiste Amanieu de Ruat (1), s’est mis à l’œuvre pour le combattre, en entamant des plantations sur une partie de ses terres, d’abord en 1713 puis en 1727. Les premiers pins poussent mais les bergers qui utilisent les lieux en jachère voient d’ un mauvais œil disparaître leurs maigres prairies, remplacées par la forêt. Certains d’entre eux mettent donc le feu aux arbrisseaux, déjà âgés de six ans. Cependant, entre 1782 et 1787, François de Ruat relève le défi de son père et, sous la direction de son homme d’affaires à La Teste, Peyjehan jeune, il fait planter des pins dans les “lettes”, des vallons entre les dunes, mieux protégés du vent. Les opérations se déroulent dans les environs d’Arcachon et du cap Ferret. Mais l’entreprise, coûteuse, manque de peu de ruiner le dernier des captaux de Buch.
Pendant ce temps, en 1769, plus au sud, l’abbé Mathieu Desbiey et son frère Guillaume, travaillent pour bloquer une dune mobile de Saint Julien en Born. Ils y appliquent une idée simple, peut-être bien utilisée depuis longtemps, ici et là. Il faut couvrir le sol de branchages ou de rameaux de genêts pour fixer le sable, laissant ainsi le temps aux jeunes pins de prendre racines. Cependant, en 1778, le baron Charlevoix de Villers, ingénieur maritime, arrive à La Teste. Sa mission : étudier la possibilité de creuser ce canal du Bassin vers l’Adour, si désiré par les militaires et les commerçants. Conclusion du baron en ses cinq mémoires : si l’ on veut ouvrir le canal, il faut, d’ abord, fixer les dunes.
C’est alors, en 1784, qu’intervient Brémontier, sans doute fort de certains appuis, politiques ou autres et chargé, notamment, des voies de communication. Donc, on peut le penser, de l’hypothétique canal Atlantique. S’appuyant sur l’expérience de Peyjehan et de tous les praticiens locaux, il obtient des crédits pour expérimenter la fixation des sables formant des dunes, aujourd’hui englouties, de sept mille mètres de long et deux cents mètres de large, entre Pilat et Arcachon, au printemps de 1787. Brémontier perfectionne le système Desbiey en y adjoignant des palissades de 1m.50 de haut qui formeront un cordon dunaire protecteur. Mais la révolution de 1789 éclate.
Cependant, Peyjehan, courageusement, continue l’expérience contre le mauvais temps, politique ou climatique, souvent en payant les ouvriers de sa poche. En 1795, la tourmente révolutionnaire apaisée, Brémontier préside à la rédaction d’un rapport qui dresse un bilan positif des premières plantations, lesquelles produisent déjà de la gemme. Si bien qu’en 1801, les Consuls de la République se montrent très actifs en décrétant : “Il sera pris des mesures pour continuer de fixer les dunes des côtes de Gascogne selon les plans présentés par le citoyen Brémontier”. Le dit citoyen est, en même temps, nommé président de la commission des Dunes, avec Peyjehan comme inspecteur des travaux.
On installe des ateliers de plantation à La Teste d’abord, puis au Verdon, au Cap Ferret, à Arcachon et à Mimizan, tant et si bien qu’en 1816, sept ans après le décès à Paris de Nicolas Brémontier, quatre mille cinq cents hectares de forêts de pins poussent avec vigueur.
Carte élaborée par Brémontier au XIXè siècle, montrant les semis réalisés à La Teste de Buch. La bande au milieu de la carte représente les semis qu'il a réalisé. Les massifs à gauche et à droite de la carte sont naturels et existaient avant les campagnes de boisement. Le Nord est à droite.
Brémontier méritait donc bien le monument qu’en 1818 lui consacra le pouvoir royal et aussi le buste que la Société immobilière d’ Arcachon lui éleva dans cette ville en 1878, au milieu d’une place qui porte son nom. Sans soute Brémontier a-t-il été un chaînon dans la longue recherche menée en Pays de Buch pour fixer le dunes. Mais il fut le rouage essentiel d’une épopée, d’ailleurs toujours à recommencer. La preuve : les ravages à relever de ce cyclone Klaus dont le nom porte à croire qu’il devait célébrer un compagnon d’Attila.
Photo Arcachon Nostalgie
Quoi qu’il en soit, promeneur, tu éprouveras certainement de l’émotion devant ce cippe, érigé exactement à la pointe extrême atteinte par les dernières embardées de ce sable blanc ravageur d’où surgit le roc rouge du monument, orné de la royale fleur de lys ...
Par JEAN DUBROCA - Diffusé sur Radio Côte d’Argent (90,4) “Promenades d’été”. Trop célèbre, trop oublié, le 17 août 2009.
(1) Jean Baptiste Amanieu de Ruat : Né en 1676, il épousa en 1702 Marie-Colombe Bauduer et en secondes noces, Dame Dubreuilh de Fonréaux. Il entra rapidement en conflit avec les habitants, notamment les marins testerins. Il est considéré comme l'un des précurseurs de la fixation des dunes en Aquitaine et fit des essais de fixation des sables mobiles par des semis de pins maritimes à La Teste de Buch. C'est à cette époque que les Ruat cessèrent d'être barons d'Audenge, et le Teich fut intégré au terres des Ruat, sans pour autant faire partie du Captalat. Il mourut en 1736 et fut enterré dans l'église du Teich.
Plus d'info sur http://www.arcachon-nostalgie.com/img/Rues/PlaceBremontier.htm
Dune du Trencat à La Teste de Buch, un exemple de dune à l'abandon.
Nicolas-Thomas Brémontier
par Jean-Pierre Ardoin Saint Amand
Mes proches disent souvent de moi que le roi n’est pas mon cousin. Certes. Cependant sans être mon cousin, il lui est arrivé d’être mon voisin. En 1879, quand Alphonse XII était descendu à la villa Monaco.
La presse locale de l’époque raconte qu’apercevant de la fenêtre de sa chambre le buste de Brémontier, il lui trouva une ressemblance avec son lointain cousin Louis XVI.
De la mienne, j’aperçois également cet ingénieur et lui trouve aussi un air de famille avec un cousin mien.
Qui garde solidement la tête sur les épaules et pas seulement pour n’avoir aucune ascendance royale.
Cette coïncidence a fini par m’intriguer.
Comment peut-on être sûr de la physionomie de cet homme dans lequel nous sommes ainsi plusieurs à reconnaître un cousin ?
Je me suis lancé dans une enquête qui n’a pas été sans me surprendre.
Première particularité, il a été communément admis jusqu’en 1866, que Nicolas-Thomas Brémontier était né à Quevilly.
Sauf que Quevilly n’existe pas.
Nous avons Petit-Quevilly, Grand-Quevilly ou encore Ecquevilly.
Lesquels ne se souviennent pas avoir vu naître ce grand homme.
En 1866, on a donc changé d’avis et de Quevilly voilà notre Brémontier né au Tronquay.
Dans l’Eure, faut-il préciser parce que devant cette valse hésitation, certains auteurs le feront naître au Tronquay, dans le Calvados !
Mais tous les dictionnaires ou encyclopédies d’aujourd’hui s’obstinent encore à vouloir le faire naître à Quevilly, précisant parfois que ce Quevilly ferait partie de l’agglomération de Rouen.
Personne ne semblant avoir eu cette curiosité, je me suis enquis de son acte de décès.
A cette époque, les membres de sa famille encore vivants devaient bien savoir où diable il était né : à Quevilly !
A quoi ressemblait-il ?
Répondre à cette question consiste à se demander quelles représentations en avons-nous ?
D’abord, bien sûr ce buste, fruit de la volonté de la Société Immobilière d’Arcachon de se faire pardonner les copieux bénéfices tirés de sa spéculation sur les terrains de la ville d’hiver.
C’était une des premières œuvres du sculpteur Anselme Léon, que le père, Alexandre, homme politique, président du Conseil Général, administrateur de la Compagnie du Midi mais aussi propriétaire des Forges des Landes avait fait fondre. Mais cet Alexandre Léon n’aimait pas gaspiller et profita de l’occasion pour faire fondre trois bustes d’un coup.
Le premier fut offert par son fils à la Société Immobilière qui à son tour en fit don à la ville d’Arcachon.
Il fut inauguré, en grande pompe le 22 septembre 1878, à l’endroit où il se trouve encore.
Le deuxième fut donné par Alexandre en novembre 1879 à la municipalité de Labouheyre pour être placé au sommet de la colonne de fonte qu’il avait fait ériger à ses frais en 1857 à l’occasion de la visite officielle de Napoléon III, venu en voisin depuis son domaine de Solférino.
Cette colonne devait à l’origine être couronnée d’un aigle également en fonte mais le temps avait manqué pour le réaliser et il avait été remplacé par un aigle en bois doré.
Qui avait été jeté bas après Sedan quand l’inscription primitive « A Napoléon III, régénérateur des Landes. Les ouvriers du département. Le 23 août 1857 » avait été remplacée par celle de « République Française, le 4 septembre 1870. Liberté, Egalité, Fraternité ».
Depuis lors, la colonne d’Alexandre ainsi décoiffée avait triste mine et Nicolas Brémontier, à son corps défendant et à moindre frais, mit un terme à cette disgrâce.
Le troisième buste orne depuis 1882, le hall de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 25 rue des Saints-Pères à Paris.
L’Avenir d’Arcachon du dimanche 29 septembre 1878 qui relate l’inauguration du premier buste précise qu’ « Anselme Léon, s’est inspiré dans son œuvre de deux photographies de portraits de famille dont l’une est déposée à la Mairie d’Arcachon et l’autre à l’Ecole des Ponts et Chaussées. La ressemblance est frappante ».
La mairie d’Arcachon comme l’Ecole des Ponts-et-Chaussées ne gardent aucun souvenir d’une telle photographie...
Mais l’effigie de Brémontier la plus répandue reste la gravure qui accompagne la notice biographique que lui a consacrée Jean-Baptiste-Bernard Billaudel.
Cette notice est tirée du Recueil des Hommes Utiles édité par la Société Montyon et Franklin.
Jean-Baptiste-Antoine Auget, baron de Montyon (1733-1820), très riche et auteur de plusieurs études économiques avait de son vivant été généreux à l’égard de nombreuses sociétés savantes.
A sa mort, il légua à l’Institut de France les rentes attachées à la plus grande partie de sa fortune.
Un professeur d’histoire, Adrien Jarry de Mancy, pour poursuivre son œuvre, créa la Société Montyon et Franklin qui se donna pour but d’honorer les hommes et les femmes utiles de tous rangs et de tous pays.
Pour ce faire, elle éditera chaque année, de 1833 à 1841, un recueil de notices biographiques (il y en aura quelques 200 en tout) pour la plupart illustrée d’un portrait.
Pour ces portraits, Adrien Jarry de Mancy fut l’un des premiers en France à propager le procédé anglais de gravure sur acier.
La notice sur Brémontier fait partie du recueil de 1839 qui honore quinze hommes utiles.
Il y a là des noms connus comme Henri IV, son ministre Sully, ou Fourier.
Et des moins connus comme ce Jean-François Le Breton, obscur inventeur d’une méthode de dessin d’après nature.
Mais certainement plus utile pour être le beau-père de cet Adrien Jarry de Mancy et accessoirement l’éditeur du premier Recueil des Hommes Utiles de l’année 1833.
La notice de Brémontier est donc illustrée d’une très jolie gravure, le représentant en buste et signée E. Conquy, Sculpr.
On en trouve un exemplaire dans la salle principale de la petite mairie du Tronquay.
Le Bénezit consulté, nous apprend qu’Euryale Conquy est né en 1810 et qu’il s’est spécialisé en gravures d’après tableau et surtout d’après des tableaux d’Horace Vernet.
Brémontier étant mort le 16 août 1809, les deux hommes n’ont pu se rencontrer, et l’artiste a donc forcément travaillé à partir d’un document quelconque.
Mais dans cette notice, Billaudel par une note nous donne de précieuses informations.
C’est ainsi que l’on apprend que Nicolas Brémontier, Inspecteur-général des Ponts-et-Chaussées, avait un neveu qui s’appelait aussi Brémontier et qui était aussi Ingénieur en chef et Secrétaire du Conseil général des Ponts-et-Chaussées.
Il avait épousé une demoiselle Tarbé de Vauxclairs dont le père était comme Nicolas Brémontier, Inspecteur-général des Ponts-et-Chaussées.
Et Billaudel de nous préciser que c’est à l’obligeance de ce neveu « que nous sommes redevables de la communication du beau portrait de Brémontier, représenté en pied, l’Océan et les Dunes formant le fond du tableau et le Bienfaiteur montrant d’un air satisfait, la section d’un Pin maritime de ses plantations. Ce portrait ne serait-il pas digne de figurer au Musée de Versailles ? »
Si l’on comprend bien ce que nous dit Billaudel, la gravure de Conquy serait inspirée de ce tableau.
Est-il digne de figurer au Musée de Versailles ?
Je n’en sais rien, mais une chose est sûre c’est qu’il ferait sacrément bien dans ma salle de séjour !
Raison de plus pour me lancer à sa recherche.
Mais dans quelle direction ?
En 1942, Pierre Buffault dans son Histoire des dunes maritimes de la Gascogne se plaignait de la pauvreté des différents hommages rendus à Brémontier eu égard aux services qu’il avait rendus, hommages parmi lesquels il citait : « Enfin, dans le pavillon forestier du Moutchic, ancienne maison des conducteurs des Ponts et Chaussées, la cheminée de la salle à manger est ornée d’une peinture représentant une forêt de dunes. Au-dessus de la forêt, dans un médaillon, est le portrait en buste de Brémontier ».
Y-aurait-il un lien entre ces deux peintures ?
Je me suis mis en chasse de ce tableau. Le Moutchic possède trois maisons forestières, mais une seule est construite en dur, celle justement qui porte le nom de Brémontier.
J’ai interrogé ses occupants, la cheminée de sa salle à manger est malheureusement dépourvue de tout élément décoratif.
Ces maisons sont placées sous la responsabilité de l’Office des Forêts dont les services bordelais ne se souviennent d’aucun tableau. J’ai été dirigé vers le titulaire le plus ancien, lequel m’a déclaré que si tableau il y avait eu, il ne pouvait être maintenant qu’au Musée d’Arcachon.
Je ne savais pas qu’Arcachon avait un musée. En fait, c’est la Société Scientifique d’Arcachon qui en possède un. Et ce musée abrite bien un portrait de Brémontier.
Que je suis allé voir dare-dare pour constater qu’il correspondait tout à fait à la description qu’en avait fait Billaudel.
Etais-je au bout de mes peines ?
Pas du tout.
Le tableau d’Arcachon est sous verre et on le voit mal.
Mais à l’évidence, il est en noir et blanc peut-être avec du brun ?
Ce n’est donc pas un tableau, au mieux une gravure.
Une autre gravure toujours faite à partir du même tableau ?
Le conservateur impatient, pensant détenir un trésor dans son musée, ne résista pas à la curiosité et fit démonter le cadre.
Las ! Il ne s’agissait que d’une photographie.
Certes ancienne, mais une simple photographie du tableau que je recherche.
Fausse piste.
D’autant plus que le musée était incapable de dater cette photo comme d’en indiquer la provenance.
Le temps passait.
A force de parler de ma recherche, à gauche et à droite, j’appris incidemment qu’un marchand-expert de Bordeaux venait de faire l’acquisition d’un tableau représentant Brémontier.
Je le rencontrais aussitôt.
Son tableau était magnifique, mais expert, plusieurs éléments lui faisait dire qu’il datait de la fin XIXe, début XXe siècle.
Peut-être avait-il été réalisé à l’occasion de la commémoration du centenaire de la mort de Brémontier ?
Mais dans un style très restauration qui le poussait à croire qu’il avait été copié sur une œuvre de cette époque.
Sur mon tableau bien sûr !
Ce tableau que je ne parviens pas à retrouver, dont on ne connaît pas l’auteur, a été réalisé vers 1830, soit vingt ans après la mort de Brémontier.
Pour contourner cette difficulté, qu’est-ce qui nous prouve que l’artiste ne s’est pas tout simplement servi de son cousin comme modèle ?