La sardine luisante

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dimanche 14 mars 2010
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Hé adieu promeneur ! Aujourd’hui, notre machine à promenades met encore le cap sur le passé mais en changeant d’orientation. Nous voici sur la piste du “Sardina pilchardus”, autrement dit, la luisante sardine, l’indispensable base, avec le vin rosé, de toute sardinade, fort à la mode des fêtes d’été. Figure-toi, promeneur qui nous suis aujourd’hui jusqu’au bout de la jetée d’Eyrac, que, dans les années d’après guerre -la seconde- on voyait, de là, naviguer, cap sur l’Aiguillon, des armadas de petits bateaux, fumants et pétaradants, chargés jusqu’à la lisse de sardines frétillantes. Si bien qu’on les appelait, forcément, des “sardiniers”. Dès qu’ils étaient signalés devant Bernet, dans tout le quartier de l’Aiguillon, les conserveries actionnaient aussitôt  leurs sirènes. Dans les maisons basses, on poussait  alors la soupe loin du feu et les femmes se rendaient en rangs serrés vers ces usines où elles allaient donner un coup de main aux employées permanentes, afin de nettoyer, étriper, cuire et mettre en boîtes colorées, sous des flots d’huile, les sardines débarquées en masses argentées.

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      Cette pêche à la sardine et l’industrialisation qui y fut liée par la suite, ont fait les beaux jours du Bassin, bien avant le début du XXè siècle.  La pêche à la sardine a même constitué l’une de ces activités traditionnelles du Bassin que M. Puig, du Musée d’Aquitaine, a étudiées en détail. Le voilà tout indiqué pour conduire notre machine à promenades ...
      Donc, raconte M. Puig, avant 1905, on pêche encore la sardine avec des pinasses, montées par deux marins, qui rament ou bien manœuvrent la voile avec la dextérité qu’il faut pour prendre les bonnes bordées sur ces bateaux délicats. L’équipage a financé l’équipement. L’un a payé la pinasse, l’autre la voile en coton de 20 M2 et le mât. Mais les deux compagnons ont aussi financé, ensemble, le filet. Un filet bien particulier au Bassin. Il est droit, en coton coloré, à une seule nappe et dérivant. Et M. Puig précise encore : “Ce filet arcachonnais mesure quarante mètres de long pour une hauteur de cinq  à six  mètres. Plombé dans le bas, il flotte grâce à des rondelles de liège fixées dans la haut”.  

      Ces filets constituent un lourd investissement, d’autant plus qu’il faut en posséder une dizaine de sortes pour les adapter à la taille de la sardine que l’on veut pêcher, une appréciation toujours délicate et qui nécessite un coup d’œil d’autant plus expérimenté qu’il existe plusieurs tailles de poissons, répertoriées par l’expérience. On appâte l’animal avec de la rogue, une espèce de bouillie faite d’œufs de morue, salés et  mélangés avec de l’ eau de mer et du sable. La sardine doit aimer les plats relevés ... Quand on estime le filet bien dodu, on le relève et l’on passe le temps du retour au port à détacher les sardines prisonnières par leurs ouïes  des mailles serrées du filet.  
 
      Après le filet, l’originalité de cette pêche traditionnelle de la sardine par les marins du Bassin se double d’une organisation sociale intéressante. La flottille de pêche du Sud-Bassin groupe entre cent et deux cents bateaux, suivant les saisons. Il a donc fallu s’organiser autour de chefs de meute, les prud’hommes, chargés d’autoriser ou d’interdire le difficile passage des passes, à l’aide drapeaux de couleurs variées. On franchit la vague de  manière collective, à l’aller comme au retour. Et personne ne discute les ordres de ces prud’hommes. On comprend bien qu’il s’agit de vie ou de mort...

       Délicat aussi, le repérage des bancs de sardines qui, selon les saisons, migrent du large vers les côtes.  On localise ces bancs  en observant les grands vols de mouettes qui planent au-dessus d’eux ou en repérant des dauphins, particulièrement friands de sardines fraîches...

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      L’arrivée de la pinasse à moteur, à partir de 1905, va considérablement modifier les conditions de la pêche à la sardine et son organisation. Les nouvelles pinasses, ces sardiniers dont nous parlions,  embarquent de six  à douze marins, chacun disposant d’une petite “plate”, ou doris, disposée autour du filet. En somme, on pêche la sardine comme on capture la morue, au large de Terre-Neuve. Le moteur a donc fait passer la pêche artisanale à la sardine au stade semi-industriel. Les prud’hommes vont disparaître tout comme d’ailleurs les “shardinaïres” qui se transforment en ostréiculteurs, mieux payés. Des nombreux marins bretons les remplaceront et les fines coiffes Bigouden de leurs épouses, fleuriront alors dans Arcachon.

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      Et puis, la sardine étant particulièrement versatile, elle a quitté nos côtes pour le sud de l’ Atlantique. Et voilà pourquoi, il ne reste plus, dans la machine à promenades, que le souvenir de ces pittoresques marchandes de sardines qui arpentaient les rues d’Arcachon. Elles poussaient des carrioles branlantes et attiraient leurs clients en hurlant sur des modulations variées mais toujours puissances : “Royans frais ! Royans frais, mesdames!”. Et elles pesaient leur marchandise dans des balances romaines qui ferraillaient, tandis qu’elles emballaient l’achat dans du papier de journal ... Mais, promeneurs de l’été, point de nostalgie car ces bonnes marchandes, sans doute pittoresques, étaient en réalité fort pauvres... Bonne promenade, quand même  ...

Jean DUBROCA

Crédit photos : http://www.leonc.net

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