Le casino mauresque, détruit par un incendie nocturne le 18 janvier 1977. Un incendie qui a laissé bien des brûlures dans le souvenir de beaucoup, d’autant plus que son origine reste toujours suspecte. Voici donc le moment, dans ces croquis d’été et d’ici, de raconter la curieuse histoire de ce non moins curieux monument, unique en son genre … quand il existait.
Inauguré le 16 août 1863
Lorsque le grand capital, par frères Pereire interposés, s’intéresse à Arcachon, dès son indépendance, pour y spéculer et pour rentabiliser la ligne de chemin de fer venant de Bordeaux, le visage d’Arcachon change rapidement. En 1861, l’ingénieur de la Compagnie du Midi, Paul Régnauld et Lamothe fils, géomètre à Bordeaux, dressent les plans d’une « Ville d’hiver », en taillant dans la forêt deux cent cinquante lots, au sud, pour le compte de la Compagnie et cent quarante-deux lots, pour les intérêts particuliers de M. Pereire, à l’ouest. Les méandres de ce parc urbain que devient ainsi la Ville d’hiver répondent à des exigences sanitaires mais aussi à la volonté de créer l’illusion : on offre une station de montagne, suisse de préférence, pour la pureté de l’air mais si proche de la mer qu’un plan commercial n’hésite pas à placer les flots bleus au sud du lotissement, en plein soleil. Cette urbanisation en circonvolutions, très à la mode, on la retrouve dans l’organisation du parc Monceau à Paris, également œuvre des Pereire et dans le décor du parc des Buttes Chaumont. Bernard Marrey alors peut justement parler << De convergences historiques >>.
Les plans achevés, dès le printemps 1862, on compte bientôt 1500 ouvriers à l’ouvrage, sous la direction du Bordelais, Jules Salesse Ils tracent des avenues, dont deux d’entre elles montent en biais les vingt-cinq mètres de haut de la dune, se croisent en palier pour grimper vers le casino dont des maçons attaquent la construction. On inaugurera le bâtiment le 12 juillet 1863. Son ossature très simple repose sur un rez-de-chaussée carré, bordé d’identiques escaliers monumentaux sur chaque face et surmonté de quatre murs, dont deux en ogives. Tout le reste est un décor qui fournit, lit-on dans la Presse : << Un mélange de l’ Alhambra de Grenade et de la mosquée de Cordoue >>. Il est vrai que le décorateur, Salesse fils, peintre au Grand théâtre de Bordeaux, a parachevé l’ illusion en multipliant des couleurs et des arabesques sur deux vastes coupoles en fer d’où de longues et multiples stalactites de bois dégringolent en cascades multicolores et d’où dégoulinent de lourdes draperies. Elles ornent principalement la salle centrale, dite « mauresque », au premier étage, dotée d’une scène et bordée, à l’est, par le salon de musique puis, à l’ouest, par le salon de lecture. En même temps, on arase la dune alentour, on y apporte de la terre arable par wagons entiers, on y plante des arbres déjà hauts, on étale du gazon, on creuse des grottes et des bassins, on lâche des cascades et, dans le soir rosé, on allume une myriade de becs de gaz et même électriques, dans un vaste parc parcouru d’allées romantiques, mais à l’entrée payante.
Mai 1941
Les enfants se promènent dans des charrettes tirées par deux grosses chèvres puis se distraient au théâtre San Carlino tandis que leurs parents écoutent des concerts, au pavillon Mozart. Car il s’agit de vendre du bonheur, du rêve, de l’ illusion, de poser sur les bords du Bassin des mirages andalous ou orientaux que l’on s’offre avec un billet aller-retour vers Bordeaux.
Façade nord, côté Jardin Mauresque. Vers 1950.
Parce que le casino mauresque n’est que le haut lieu d’un ensemble qui permet au visiteur de faire le tour du monde en quelques promenades. Dès qu’il débarque de la nouvelle gare inaugurée en 1864, à l’ouest, il découvre, étonné et ravi, l’énorme buffet chinois. Quarante mètres de long, vingt de large : c’est une énorme pagode à cinq niveaux, conçue par Paul Regnauld. Si le soubassement est le même que celui du casino mauresque, les superstructures, aux toits relevés dans chaque angle, sont carrément asiatiques. A l’intérieur, des salons, des buvettes, de grandes cuisines sont illuminés par trois cent soixante-quinze becs de gaz dissimulés sous des globes de verre. Et Henri Massicault écrit: << Selon les navigateurs qui ont visité la Chine, l’ architecture de cet édifice se rapporte au style chinois le plus pur >>. L’aventure et le dépaysement sont donc exactement au bout du chemin de fer !
Et l’exploration continue. C’est ainsi que, plus à l’ouest du casino, on dresse, à vingt-cinq mètres de hauteur, l’observatoire Sainte Cécile. C’est une très légère construction qui bouge lorsqu’on y grimpe, à cause d’un escalier cylindrique soutenu par de minces filins d’acier suspendus à la plate-forme d’observation supérieure. Un hommage à l’architecture navale mais élevé grâce à de prosaïques rails de chemins de fer ! On parvient à ses pieds par la passerelle Saint-Paul, longue de trente-deux mètres. Elle franchit un impressionnant ravin de quinze mètres de creux, ce qui donne le vertige aux dames. La construction s’appuie sur un enrochement de pierres venues de diverses régions du sud-ouest dont la variété instruit les familles. Tout autour, dans une vision fabuleuse et presque irréelle, s’ élèvent des châteaux gothiques ou des chalets suisses, directement importés de Bordeaux, décorés dans un déluge de lambrequins, de colonnettes vrillées, de dentelles de bois aux atours immatériels, de tourelles shakespeariennes, d’arcades biseautées, de rampes d’escaliers enchevêtrées et de légères vérandas qui semblent à peine suspendues à des façades colorées. Alors, s’il y avait une seule raison, une seule, pour qu’on puisse souhaiter la reconstruction du casino mauresque, c’est parce qu’il reste, on le voit, le cœur même de ce rêve de pierres inachevé.
Jean DUBROCA
Incendie dans la nuit du 17 au 18 janvier 1977.
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