Vestiges de la Première guerre mondiale à La Teste-de-Buch (Gironde)
Les cimetières à vocation militaire
1. Au cimetière communal, au lieu-dit Les Ninots
Il existe là un bien curieux « Carré Militaire », à droite de l'allée principale partant de l'ancienne entrée. Aucun nom n’a jamais été inscrit sur les emblèmes de bois qui jalonnent chaque "sépulture". Ce ne sont pas là des croix mais plutôt des écriteaux généreusement peints en blanc d'année en année, avant les commémorations de l'armistice de 1918.
La curiosité de ce carré militaire réside dans le fait qu’il ne contient en vérité aucune tombe. Il a été réalisé après la première guerre mondiale, à la demande du Souvenir Français local, afin de rappeler ou de mieux matérialiser la contribution au cours du conflit, des enfants de la commune, tombés au Champ d’Honneur ou péris en mer. Le groupe statuaire du monument aux morts placé à proximité de l’Hôtel de Ville réunit un fantassin et un marin.
Une cocarde bleu-blanc-rouge est fixée, par le Souvenir français, au centre de chaque "écriteau". Jusqu'à une époque récente, tous les ans début novembre, les préposés à l'entretien du cimetière communal plantaient un drapeau tricolore sur ces « tombes » comme sur les concessions familiales où reposent des victimes de différents conflits, ou bien y sont remémorés les disparus.
2. Dans la forêt, au lieu-dit Le Natus
À l’écart de la commune, au lieu-dit "Le Natus", furent aménagés là DEUX cimetières, conséquences de la présence dans les années de la Grande guerre, d'un camp militaire voisin, le Camp Du Courneau, qui vit s’y succéder des Tirailleurs Sénégalais, puis des Russes et enfin des Américains.
Le Camp du Courneau et ses occupants successifs
Ce camp fut aménagé dés mars 1916 au lieu-dit "Le Courneau", entre la route départementale menant de La Teste à Cazaux et le canal reliant l’étang de Cazaux et de Sanguinet au Bassin d'Arcachon.
1. Les Tirailleurs Sénégalais
Il était, comme ceux de Fréjus - Saint-Raphaël (83) ou d'Oran (Algérie) d'abord destiné à "l'hivernage" (la mise au repos), des troupes coloniales des quelques 38 Bataillons de Tirailleurs Sénégalais (BTS) engagés en métropole. Cet "hivernage" avait pour but de préserver les combattants coloniaux positionnés sur le Front des rigueurs de l'hiver (qui pouvaient affecter leur combativité). Le restant de l'année, ces camps servaient à la formation aux rudiments militaires et à l'entraînement des recrues entre leur "enrôlement" et leur envoi au combat. Chaque camp militaire disposait d'un hôpital médical et chirurgical de plusieurs centaines de lits.
Le camp Du Courneau fut utilisé par les BTS de 1916 à 1917, jusqu'au moment où force fut de constater que les conditions climatiques et sanitaires étaient plus que défavorables. L'endroit est un terrain de landes, plat, très humide en hiver. En plus, il était fort exposé aux vents du fait du déboisement opéré pour installer les centaines de baraques "Adrian", en planches. Ces baraques pouvaient accueillir cent hommes ; on a dit que les installations sanitaires ne furent pas bâties en nombre suffisant tout de suite, que les latrines furent parfois délaissées au "bénéfice" de la nature, que les lessives comme les ablutions pouvaient se faire directement dans le canal.
En tous cas, pour une raison ou pour une autre, l’arrivée des Tirailleurs au Courneau ne manqua pas de susciter quelques remarques inquiètes de la part des habitants de la commune !
On considère que le camp a pu voir passer en tout, 40 000 Tirailleurs Sénégalais et leur encadrement. Il pouvait recevoir simultanément environ 18 000 hommes, leurs 300 officiers et sous-officiers.
En novembre 1916, de nombreuses affections pulmonaires furent constatées parmi les 16.000 hommes présents Au Courneau. Pour 850 hospitalisations, on dénombra 81 décès. Entre le début de l'année et la fin du printemps 1917 on comptabilisa 555 autres morts. À la fin de 1917, en raison du fort taux de mortalité mis en relation avec le site du Courneau, et l'arrivée des Russes (voir plus loin), les autorités décidèrent que "l'hivernage" des Tirailleurs se ferait à Fréjus.
Tous les décès ne le furent pas des conséquences d'affections pulmonaires. Des séquelles de blessures, d’accidents ou d'autres maladies (tuberculose, dysenterie, maladies « coloniales », etc. etc.) eurent des issues fatales.
Le relevé détaillé des décès au camp du Courneau s'établit comme suit :
- 288 pour 1916 : mai : 3, juin : 11, juillet : 16, août : 31, septembre : 31, octobre : 30, novembre : 43, décembre : 123
- 631, pour 1917 : janvier : 104+1, février : 142, mars : 63, avril : 54, mai : 109, juin : 77+1, juillet : 60, août : 16, septembre : 4,
soit un total de 919, parmi lesquels 2 hommes n’appartenant pas aux Tirailleurs Sénégalais.
Tous furent inhumés à deux kilomètres de là, au versant est d'une petite dune boisée de pins, au lieu-dit "Le Natus". Il n’est pas certain qu’à l'époque furent "balisées" les sépultures en indiquant les identités des défunts. Toujours est-il qu’il fallut attendre quelques cinquante années pour que l’on décide enfin, en 1967, l’érection d’un monument convenable, que l'on clôture et nettoie ce qui est en fait une vaste tombe commune – un charnier ou un ossuaire - d'un hectare de superficie. C’était pourtant une Nécropole nationale, dont rien ne signalait la présence de héros oubliés aux passants étrangers à la commune.
Le site resta longtemps pour les autochtones celui du « cimetière des Sénégalais » ou plus simplement du « cimetière des Noirs ». On y accédait via une piste forestière (dite la Piste 214), partant de la route La Teste-Cazaux au niveau de cabane de résiniers « Saint-Hubert » et menant à la cabane de Hourn Peyran près de la côte (dune du Pilat) en passant par les cabanes de Hourn Laurès et de Soussine. Cette piste ne connaissait que le passage des attelages de mules remorquant quelques troncs de pins vers les scieries de La Teste, celui des résiniers ou – à la saison – celui des chasseurs. Quand, au début des années soixante, on se mit à prospecter des gisements de pétrole dans la forêt, et notamment à Soussine, la piste fut élargie pour que les engins et autres véhicules des « pétroliers » puissent circuler. Par endroits, sur le tronçon le moins fréquenté, entre Soussine et Hourn Peyran, on se contenta de recouvrir de bitume l’ancien revêtement ce qui eut pour effet de « sonoriser » la route qu’à cet endroit certains appelèrent la « piste chantante » …
En 2008, à Metz, en Lorraine, lors de la tenue de conférences consacrées aux "Forces Noires" ayant servi au bénéfice de certains pays d'Europe, un ancien Ministre de la République du Sénégal, l'Attaché militaire de ce même État à Paris, un Colonel (ER) du Sénégal ayant servi plusieurs années comme officier dans l'armée française et ... un responsable du Musée des Troupes de Marine (et des troupes d'Outre-mer) à Fréjus, étaient présents. Aucun d'entre eux ne connaissait l'existence d'une nécropole de Tirailleurs sénégalais près du Bassin d'Arcachon. Ils l’ont apprise de l’un des auditeurs.
2. Les Russes
Après la Révolution russe du printemps 1917, le Tsar Nicolas II fut contraint d'abdiquer. Des accords Franco-russes avaient conclu à l’engagement sur le front français d’un contingent militaire russe d'environ 16 000 hommes, rangés en deux brigades, la 1ère et la 3ème. Les évènements en Russie, comme les mutineries affectant les armées françaises et britanniques, conduisirent le Commandement militaire français à retirer les troupes russes du front pour les envoyer au camp de La Courtine (Creuse). La 1ère brigade (9500 h.) y arriva en juin, la 3ème (6500 h.) en juillet. Globalement, les effectifs de la 1ère exigèrent leur rapatriement et entrèrent en conflit ouvert avec leurs compatriotes de la 3ème, moins décidés à se rebeller. La 3ème Brigade fut alors envoyée à 20km de là dans un autre camp, à Felletin, mais quand ses éléments refusèrent d'intervenir pour désarmer ceux de la 1ère brigade, la décision fut prise d'envoyer la 3ème brigade au Camp du Courneau dont, à cette époque de l'année, les occupants des BTS étaient en nombre moindre qu'en hiver.
La discipline parmi les Russes y devint plus que relâchée, bien des officiers préférant aventures galantes ou virées alcoolisées à Arcachon ou à Bordeaux, les hommes restant livrés à eux-mêmes. La vente d'alcool - sous toutes ses formes - dans les cantines du camp fut totalement interdite. C'est quand la 3ème brigade russe se trouvait au Courneau qu'éclata la Révolution d'Octobre. Des affrontements opposèrent dans le camp même, "blancs" et "rouges.
Quelques officiers refusant d'être considérés comme défaitistes ou traîtres parvinrent à réunir quelques centaines de volontaires pour constituer une "Légion russe" et obtinrent la permission de reprendre le combat dès la fin 1917, en Picardie puis en Champagne. Parmi les autres, ceux qui étaient jugés "fiables" furent ultérieurement autorisés à quitter les différents camps pour travailler "de leur plein gré", contribuant à l'effort de guerre français (agriculture, usines, mines du centre et du midi). Les plus irréductibles furent embarqués pour l’île d’Aix ou pour l’Afrique du nord via Toulon.
Le passage des Russes au camp du Courneau, conduira 12 d'entre eux à leur dernière demeure, près de celles des centaines de Tirailleurs Sénégalais qui y reposaient. Il y eut au moins un Russe blanc et un Bolchevique parmi eux, des vestiges (aujourd'hui disparus) de décorum funéraire l'attestaient : une tombe "chrétienne" et une autre ornée d'une faucille et du marteau...
3. Les Américains
C'est dès leur entrée en guerre en juillet 1917 que les USA acheminèrent leur corps expéditionnaire vers les ports français. La conscription n'étant alors pas en vigueur en Amérique, les troupes devaient recevoir formation et une bonne partie de leur équipement et matériel de la part des armées françaises. Dès janvier 1918, le camp du Courneau fut "transféré" aux Américains qui exigèrent le départ immédiat de tous les occupants Russes qui s’y trouvaient encore, ce qui fut fait.
Les équipements hérités des occupants précédents furent rapidement nettoyés, démolis ou aménagés selon les us et coutumes des nouveaux arrivants, l'hôpital ayant été utilisé pour les Tirailleurs et les Russes fut transformé en un véritable hôpital chirurgical.
Le camp reçut le nom de "Camp Hunt".
Les premiers milliers de soldats et officiers américains qui y furent affectés appartenaient à la 165th Field Artillery Brigade ; ils furent suivis par ceux de la 161st et par les élèves une école d'aérostiers destinés à recevoir une formation d’assistance à l'artillerie. La place ne manquait pas pour les tirs au canon …
Les hommes de ces troupes, quand ils obtenaient des permissions de sorties du camp, pouvaient visiter le voisinage. Ils n’hésitaient pas à aborder les habitants du coin qu’ils rencontraient. Propres, bien habillés, plutôt polis, parfois plus fortunés, ils étaient bien mieux perçus que les occupants précédents du Courneau. Quelques mariages avec des jeunes filles des alentours en ont résulté…
À partir de mai 1918, les Américains eurent à déplorer le décès de quelques uns des leurs : accidents, maladie (dont surtout la grippe espagnole) qui firent plusieurs dizaines de victimes. Les défunts furent inhumés à proximité de la dune où se trouvaient les tombes de Tirailleurs sénégalais et de Russes, de l'autre côté de la Piste forestière menant à la côte.
Une petite nécropole aménagée là recueillit jusqu'à 87 tombes, parmi lesquelles étaient celles d'aviateurs basés à Cazaux et morts lors d'exercices*.
Voilà pourquoi il exista DEUX cimetières au Natus. Dans les années suivant la fin de la guerre, le cimetière américain fut désaffecté : certains des corps exhumés furent rapatriés aux États-Unis, les autres furent ré-inhumés au Cimetière militaire américain de Suresnes (Hauts-de-Seine).
Pour terminer, il faut savoir que le camp du Courneau n'a pas totalement disparu, contrairement (il y a peu) à la petite gare ferroviaire qui le desservait.
On peut, quand on sait où regarder, en apercevoir quelques vestiges, au-delà de la haute clôture défensive du terrain militaire où ils se trouvent désormais. Ce terrain militaire appartient à la Base aérienne 120 de Cazaux "Commandant Marzac" de l'Armée de l'Air et fait partie des terrains d'exercice au bombardement.
Une fois par an, l'Armée de l'Air autorise une visite guidée du site et on peut découvrir ce qu'il reste des installations du camp devenu le royaume des lapins, lièvres et autres animaux sauvages ...
* À huit kilomètres de là, à Cazaux, un camp militaire d'aviation fut créé en 1913-1914. C'est là qu'à partir de 1915 venaient se former au tir et au bombardement, pilotes et équipages français et alliés.
Références bibliographiques :
La Teste-de-Buch à travers les siècles, Jacques Delamare, 1999, Éditions Berthout
1914-1918, le Bassin d’Arcachon , J-M. Mormone, P. Boyer, J-P. Caule, 2008, Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.
Documentation de l’auteur, René Lehimas