Armand et Louise en 1914

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mardi 25 novembre 2014
Cet article précieux est le résultat d’un travail remarquable effectué par l’association de Belin-Beliet “Courant Alternatif”. Très bonne lecture à toutes et à tous.

Patrick Ransinan


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Depuis la fin du mois d’août 1914, un couple de notre région, Armand et Louise de Salles, ont échangé plusieurs centaines de  lettres tout au long de la guerre. Le texte est transcrit dans son intégralité. On y découvre à la fois la dure vie au front et les difficultés de la vie quotidienne d’une femme qui doit s’occuper seule d’une petite exploitation agricole de notre région en cette époque de guerre.

La plupart des lettres ont été écrites par Louise et Armand, un couple de petits agriculteurs de Salles. 

Sont présentés, au fur et à mesure de leur apparition, les amis et parents qui y sont cités ainsi que les membres de la famille qui participent régulièrement à cette correspondance. 

Louise Villetorte, née à Salles, a 29 ans en 1914. Armand Mano originaire du Barp a 33 ans. Ils se sont mariés en 1906 à Salles. Après leur mariage, Armand, qui a appris le métier de charpentier vient habiter à Salles où ses beaux-parents exploitent avec Louise la petite ferme familiale.
 
Le père de Louise est mort quand elle avait 3 ans. Sa mère, s’est remariée avec le frère cadet de son mari décédé, dont elle a eu deux enfants : Louis en 1892 et Lucien en 1895. 

Louise et Armand ont une fille, Armande, qui a 6 ans en 1914. Armand est originaire du quartier de Roques, au Barp, où habitent encore ses parents quand la guerre éclate. Sa sœur Marie qui est aussi sa filleule a épousé René Villetorte de Salles, qui est également mobilisé et écrit souvent à sa belle-sœur Louise. 

En 1914, Armand fait partie de la réserve de l’armée d’active, il arrive à la caserne de 
Marmande le 12 août, 10 jours après la déclaration de guerre. Les premières lettres sont adressées par Armand depuis la caserne, siège du 20e Régiment d’infanterie où il a accompli ses trois ans de service militaire de 1901 à 1904. Ces lettres sont très espacées, on peut supposer que pendant son séjour à Marmande, Armand revient régulièrement au pays.


Marmande 15 août 1914 

Chère femme, 

je viens pas ces deux mots te donner de mes nouvelles. je suis été un peu négligeant c'est que je voulais voir la situation avant. 
En passant à Bordeaux j'ai trouvé Maurice et Jules du Couic 1 à Lavignolle et nous avons dîné ensemble avec mon frère Martial, Paul, Tomme et d'autres si bien que nous avons manqué le train de 1 h 20 et il nous a fallu attendre jusqu'à 7 h 20 min.
Nous sommes été nous promener à la Bastide nous avons trouvé Jeanty de Phalip 2 et bien d'autres collègues du régiment et jamais je n'y ai vu tant de chevaux. 

Nous sommes arrivés à Il h mercredi soir à Marmande. Nous sommes été habillés le lendemain et passé la visite comme à 20 ans et nous sommes cantonnés dans une grande grange, j'ai avec moi Tourteau et d'autres camarades que j'avais au régiment tous les autres du pays ne sont pas à ma compagnie mais je les trouve tout les soirs. 

Nous ne serions pas trop mal si on y reste mais je ne crois pas, nous payons le vin 7 sous le litre. La nourriture il y a tout ce qu'il faut mais c'est très mal fait. J'ai porté la valise à ton oncle 3 et j'ai cru leur faire plaisir, j'ai soupé avec eux. 

Je suis été voir passer un bataillon du premier zouaves à la gare qui venait du Maroc, ils m'ont dit que René 4 était resté au Maroc on le connaissait très bien ils avaient même avec eux un petit marocain qu'ils se faisaient suivre sur la frontière. 

Nous voyons les journaux tous les jours, nous avons de très bons officiers à la compagnie sauf l'adjudant qui est de l'active. 
La ville de Marmande est bondée de soldats. Georges de Pelloc 2 n'est pas encore parti, je le trouve souvent. 

Tu me feras réponse et tu me diras si vous avez coupé la prairie derrière la maison. 
Rien de plus à te dire, je t'embrasse et à Armande aussi un gros baiser, tu feras part de (ma) lettre à tes parents.

Mano Armand 

Réserviste au 20e de ligne, 30e compagnie de dépôt Marmande Lot-et-Garonne 
Tu n'as pas besoin de timbrer la lettre

NOTES : 
1 - Le remplacement des noms de famille par des surnoms ou chafres est encore très 
fréquent à cette époque. Couic est le chafre d’une famille Lévêque, de Lavignolle-de- Salles. 
2 - Phalip et Peloc sont des quartiers de Salles. 
3 - Le grand oncle de Louise habite Marnande. 
4 - René Villetorte, beau-frère d’Armand.

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Lettre du 21 août 1914

Chère Louise,

Je viens te dire que je suis encore à Marmande. Il y en a qui partent ces jours-ci, mais je crois partir dans une dizaine de jours et pour tout dire je n’en sais rien. Ceux qui partent ne savent pas même où ils vont, et il y en a pas mal qui sont réformés. 
J’ai couché quelques nuits à la paille, mais maintenant je couche toutes les nuits à l’oncle avec celui de la Janique et des voisins les plus jeunes. Roger, Albi 1, Arthur, Edmond, que je serai content de savoir où ils sont, les autres doivent être comme moi pas encore partis. 
Le Chacail et Maurice et d’autres doivent être renvoyés 2 , tu me le diras, tu me feras réponse de suite, en cas de partir, je ne t’écrirai plus qu’au départ de Marmande. 
 J’ai reçu ta lettre ouverte, ne mets pas de timbres quand même. Tu me diras si tu l’as reçue cachetée et sans payer celle-ci. 

Tu feras [voir] la lettre à tes parents… [la fin manque]

NOTES : 
1 - Albi est Jean Villetorte, né en 1887, voisin d’Armand et Louise. 
2 - À Marmande, les réservistes subissent un examen médical avant l’incorporation. Les réformés et les soutiens de famille sont renvoyés dans leurs foyers.
Le 21 août, au moment où nous quittons Armand et Louise, la guerre est déjà commencée sur deux fronts principaux, en Alsace-Lorraine et en Belgique. Aucun Sallois n’a encore été tué mais Belin et Béliet viennent de perdre trois soldats, deux en Lorraine et un en Belgique, les 19 et 20 août. 
La presse locale fait état des atrocités allemandes commises en Belgique et des batailles remportées par la France, mais elle omet de préciser les pertes subies par nos armées. Elles sont importantes et ont commencé dès la déclaration de guerre.


.
1er septembre 1914 

Chère Louise,

Je fais réponse à ta lettre 1 que j’ai reçue, en apprenant que Louis 2 était blessé, et Ferdinand. 
Je ne suis pas été bien surpris de Louis, parce que je savais très bien que son régiment avait marché. 
Il vaut mieux encore pour lui, si la blessure n’est pas trop grave, parce qu’il est maintenant hors de combat, probable pendant la durée de la guerre. 
Il est parti aujourd’hui 800 hommes de Marmande pour la frontière, il doit en partir encore dans la semaine mais j’attends encore une dizaine de jours, je suis des derniers à partir 3. 

J’ai à te dire que l’oncle et la tante viennent te faire l’offre de venir passer deux jours à Marmande si tu veux, moi je n’y vois d’inconvénient. Si ta mère se charge des affaires, viens, tu pourrais partir samedi prendre aller et retour ça coûte 10 F. Si tu viens tu m’apporteras des chaussettes, tu feras réponse de suite, si tu viens oui ou non, rien de plus à dire pour le moment bien le bonjour à tous. 

Je t’embrasse de loin et Armande qui doit s’ennuyer. 

Mano Armand 

Réserviste au 20e de ligne, 30e compagnie Marmande 

Cachète les lettres

NOTES : 
1 - Pour cette période, les lettres de Louise n’ont pas été conservées.
2 - Louis Villetorte, demi-frère de Louise, mitrailleur au 308e RI. Il fait partie des 748 soldats ou officiers de ce régiment qui ont été blessés, tués, ou faits prisonniers dans la dernière semaine d’août dans le secteur d’Arras, soit le tiers environ de l’effectif de 2234 hommes et officiers (Journal de marche du régiment).
3 - A la déclaration de guerre, il y a environ 800 000 soldats sous les drapeaux, de 21 à 23 ans. Les plus jeunes classes de réservistes (24 et 25 ans) complètent les régiments d’active dans les premiers jours de la mobilisation et partent aussitôt pour le front. Les soldats des classes plus âgées qui constituent les régiments de réserve, sont acheminés progressivement vers les frontières. Le nombre important de soldats mobilisés au mois d’août, environ 3 millions, pose quelques problèmes d’équipement et d’acheminement vers les zones de combat.

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La dernière semaine d’août 1914 aura été la plus meurtrière de toute la guerre. On évalue à 27000 le nombre de tués pour la seule journée du 22 août, l’équivalent de toute la guerre d’Algérie ou de la moitié des tués américains pendant les 15 années de guerre au Vietnam. 

Il faudra attendre le 1er juillet 1916 pour approcher de ce triste record, grâce au général Haig qui fit massacrer 16 240 soldats anglais dans la Somme, la plupart dans la première heure de combat, faisant de cette journée le record des pertes de l’armée britannique.

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Pendant cette fin du premier mois de guerre, quinze soldats du canton de Belin seront tués, en Lorraine et en Belgique, victimes de la théorie de l’offensive à outrance, prônée par le « généralissime » Joffre et son état-major. 

Voici la liste de ces quinze soldats de notre canton tués lors des premiers combats :

Morts le 20 août à Viviers (Moselle) :

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DUBERNET Jean dit Pierre, 30 ans, instituteur à Béliet.
LESPAGNET Emile dit Camille, né à Béliet, 30 ans.
Morts le 22 août en Belgique (secteur de Bertrix) :
SABOUA Pierre né à Salles, 25 ans (Saint-Vincent).
LAPIOS Adrien, forgeron à Lugos, 23 ans (Bertrix). 
BALLION Pierre dit Joseph, né à Béliet, 25 ans (St-Vincent). 
GARDERE Pierre dit André, né à Béliet, 22 ans (Lobbes). 
BERTRUC Michel dit André, né à Salles, 24 ans (Lobbes). 
LEGLISE Jean dit Marcel, né au Barp, 23 ans (Neufchâteau). 
Morts le 24 août dans la Meuse :
CAVERNES Simon dit Hector, né à Salles, 29 ans (Etain).
LAPORTE Louis, né à Salles, 23 ans (Amel-sur-l’étang).
MANO Jean dit Gaston, né à Belin, 27 ans (Eton). 
Mort le 26 août dans la Meuse :
PATROUILLEAU Pierre dit Joseph, né à Belin, 27 ans, 
(hôpital temporaire N° 4, Verdun). 
Mort le 29 août dans l’Aisne :
RABLADE Laurent dit Martin, né à Béliet , 23 ans (La Jonqueuse).

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Les morts ne pouvant pas être identifiés avec certitude, la plupart des noms ne seront révélés aux familles que beaucoup plus tard. 
Des milliers de soldats ayant été faits prisonniers, beaucoup de tués de ce début de guerre ont d’abord été considérés comme disparus. 
Dans la confusion qui régna dans le secteur de Bertrix, de nombreux soldats se retrouvèrent derrière les lignes ennemies. La plupart furent retenus prisonniers jusqu’à l’armistice de novembre 1918. D’autres se cachèrent et purent rejoindre les lignes françaises. Ce n’est pas le cas d’Albert Deysson de Béliet, soldat au 20e régiment d’infanterie de Marmande, qui se trouva avec quatre autres soldats et leur lieutenant séparés de leur unité après le combat de Luchy. En cette fin du mois d’août ils se cachent dans les bois, nous vous raconterons plus tard la suite de leur aventure.

La presse de l’époque renseigne à sa façon les familles inquiètes : 

LE MIROIR 23 août 1914 : 

LES ALLEMANDS SE BATTENT SANS CONVICTION 

L'élan forcené des fameuses armées de fer allemandes s'est brisé sur la frontière belge. Ces troupes allemandes auxquelles depuis tant d'années le bluff germanique attribuait les plus belles qualités, se sont révélées mal équipées, ignorantes, démoralisées. Pliés à une discipline très dure, les Allemands sont désemparés dès que leurs officiers disparaissent. Ils n'ont ni l'ingéniosité, ni l'agilité de nos hommes et combattent très mal à découvert. Voici des soldats d'infanterie égaillés dans la campagne et avançant par bonds. 

Le numéro suivant (30 août) relate la journée du samedi 22 août (27 000 tués sur tout le front) La retraite de nos troupes s'est accentuée en Lorraine. Elle nous a coûté des pertes assez sérieuses, mais l'ennemi a subi des pertes égales. Il a été arrêté par nos contingents au nord de Lunéville et aucune de nos unités n'a encore traversé la Meurthe. D'ailleurs les opérations qui ont lieu sur ce front n'auront qu'une valeur secondaire. 

Tout l'intérêt se porte sur la Belgique. Ici, les Anglais ont pris contact à Waterloo avec les Allemands. Nos forces se sont heurtées aux forces ennemies en avant de Charleroi, entre cette ville et Namur, c'est-à-dire sur un champ de bataille classique et qui a été souvent favorable à nos armées.




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