Escale au Moulleau. Une occasion d’évoquer l’histoire de ce quartier si particulier d’Arcachon..
Si particulier, qu’on y trouve un canon ! Un inoffensif engin, perchoir à oiseaux et à enfants, rescapé de la batterie de défense côtière installée là au XVIIIè siècle afin de défendre l’entrée du Bassin, depuis une dune assez élevée d’où, sans doute, le nom donné au lieu « Moullo » qui, en gascon signifie « gros tas ». Mais les avis sur le sujet divergent.
Ce canon était peut-être dans le fort qui défendait les passes contre les incursions des Anglais au XVIIIème siècle. Son frère jumeau, se trouve lui aussi sur une place publique, de l'autre côté du bassin, au Canon.
Lorsqu’il faut tracer les limites de la nouvelle commune d’Arcachon en 1857, il n’y a, pour les fixer au sud, au lieu dit Moulleau, qu’un seul point de repère officiel : le poste des douanes. On tracera donc la nouvelle frontière à partir de là. On trouve aussi, dans un beau site boisé, une construction légère, style paillote, abritant un rustique établissement de bains appartenant, ainsi qu’une large partie de la forêt alentour, à M. Dalis, un Landais de Parentis. Une plaisante étape pour des excursionnistes qui s’aventurent jusqu’au Pilat. Déjà, depuis 1850 environ, quelques Bordelais, tel M. Gautier, alors maire de Bordeaux, préfèrent la vie tranquille du Moulleau aux activités balnéaires d’Arcachon qui ne font que croître, avec les Pereire. Mais cette quiétude ne durera guère puisque des associés, Papin et Grangeneuve, se sont mis dans l’idée de construire à Moulleau, une station balnéaire de repos, calquée sur l’image de la Ville d’hiver. En février 1863, ils achètent pour cela trente-deux hectares à M. Dalis. Ainsi commence l’ expansion de la zone touristique arcachonnaise vers le sud, tandis que M.Dalis, lui, a sûrement fait la plus mauvaise affaire de sa vie !
Le Moulto, restaurant de la plage (Cliché 1884, collection Jean Pierre Ardoin Saint Amand) puis Laurent et sa femme, patrons du restaurant
En même temps, les Dominicains qui désirent créer un lieu de repos pour des membres de leur Ordre, trouvent là le site idéal. D’autant plus idéal que MM.Papin et Grangeneuve veulent doter leur futur lotissement d’un lieu de culte sans lequel la riche clientèle ne viendrait pas assez nombreuse. Avec l’appui financier d’une dizaine de familles propriétaires de lots au Moulleau, ils s’engagent à donner aux Dominicains une chapelle, qu’ils desserviront, dotée d’un petit monastère et des sept mille m2 de terrain les entourant. Ce sera « Notre-Dame-des-Passes », construite en moins d’un an sous la direction de l’architecte bordelais Louis Garros et inaugurée le 24 mai 1864 par le cardinal Donnet, qu’on imagine ravi de l’ expansion de « SA » paroisse arcachonnaise. Construite dans un style néo-byzantin, l’église complète le tour d’illusions arcachonnais créé par le buffet chinois et le casino mauresque .
Notre Dame des Passes, carte des frêres Neurdein
Le Moulleau qui continue de grandir, va encore profondément changer lorsque James Veyrier-Montagnères devient maire d’Arcachon en 1896. Persuadé que l’ expansion de la ville passe maintenant par son développement vers le sud, il s’ installe au Moulleau dans sa villa « Risque Tout ». Elle devient un des hauts lieux mondains de la ville. A peine élu, en 1897, il créé la « Société immobilière du Moulleau », au capital de 450 000 francs, formée de notables girondins, dans le but de développer une station de bains de mer. Il y apporte personnellement deux chalets, 15 500 m2 de terrain et des études qu’il a financées portant sur la construction d’une voie ferrée, d’un tramway, d’un hôtel et d’une ligne de téléphone. Les terrains non vendus dans le premier lotissement sont achetés par la société et, en 1898, commence la construction de l’élégant et vaste « Grand Hôtel », tel qu’on le connaît encore aujourd’hui, avec sa belle façade Est en courbe, décorée d’un fin escalier lui aussi incurvé. Les divers lots sont délimités par de fines barrières blanches et des restaurants se construisent au carrefour des rues conduisant à l’hôtel et grimpant à l’église. Les actuels escaliers ne viendront que plus tard. Aux confins du quartier, on bâtit deux sanatoriums.
Les adversaires politiques de Veyrier-Montagnères n’ont pas manqué de lui reprocher cet attrait pour le Moulleau, autant poétique que financier. Ce qui s’ approche de ce qu’on appellerait aujourd’hui le délit d’ingérence. Le plus vindicatif de ces opposants étant le jeune Pierre Dignac avec lequel il se dispute le siège de conseiller général du canton de La Teste, en 1904.
Toujours est-il que la station continue de prospérer. D’autant plus que sous l’ influence de Veyrier-Montagnères, la Société immobilière devient la propriété des puissantes Pêcheries de l’Océan, contrôlées par M. Johnson, qui ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Pendant les vingt-cinq années de mandat ininterrompu de Veyrier-Montagnères, l’eau, l’électricité, les transports publics sous la forme d’ un tramway électrique, parviennent au Moulleau. On y construit un débarcadère, un peu au sud de l’existant. La route venant d’Arcachon est empierrée. Bref : la station est lancée. Si lancée que, le 22 août 1907, S.M. le roi d’Espagne, Alphonse XIII, fait une première visite au Moulleau qui le ravit tant qu’il y reviendra trois ans plus tard.
Et c’est justement en septembre 1910 que s’installe au Moulleau, dans l’ indifférence quasi générale, le poète italien Gabrielle d’Annunzio. Il fait désormais partie de l’histoire de la station, nonobstant son futur attachement au fascisme. Il loue bientôt la villa Saint Dominique où, très maniaque, il résidera jusqu’en 1915, paradant avec ses trois lévriers blancs, point trop accablé par ses soucis d’argent et devenant même la coqueluche de la ville, la perdition de plusieurs de ses habitantes et le moteur d’un développement touristique notable. On dit qu’il écrivit ici sa pièce le « Martyre de Saint Sébastien » qui fit un joli scandale religieux en 1911 ou encore ,« La Léda sans cygne ».
Gabrielle d’Annunzio
Mais revenons à un sujet beaucoup moins sulfureux : l’église du Moulleau. Devenue le centre d’une paroisse créée en 1910, elle est agrandie en 1929. Dans les années 90, le père René Negré la rénovera, ravivant les curieuses fresques intérieures très saint sulpiciennes, peintes par les premiers Dominicains. En décembre 1991, le père Negré, encore lui, fera don à l’église du Moulleau d’une rare vierge de l’Avent, du XIXè siècle, provenant de la maison-mère des Filles de la charité, incendiée en 1870. Montrant Marie enceinte, cette statuette en bois de 45 cm de haut est l’une des trois seules de ce genre connues en France. Ainsi va le Moulleau ….
Jean DUBROCA
Plus d'infos sur http://leonc.free.fr/moulleau/lemoulleau.htm